jeudi 15 octobre 2009

La Désobéissance

En vérité, voilà un livre qui ne m'inspire pas du tout; je ne sais positivement par quel bout le prendre.
Il est pourtant d'une grande linéarité: en dehors de l'annonce de la maladie de Luca, qui intervient dès le début du roman (au moment où les prémisses de cette maladie seraient bien insuffisants pour la laisser prévoir, du moins pour le lecteur non averti qui ne saurait pas que Moravia lui-même, etc), prolepses et analepses sont rares et discrètes.

Mais la dissection minutieuse des sensations et sentiments du jeune Luca et la dissolution et recomposition du sens du monde qui l'entoure produisent un effet assez nauséeux. Autour de Luca les couches de conventions, de valeurs et de sentiments s'effritent petit à petit, mettant à nu un monde vide de sens. Sa lucidité maladive pourrit tout autour de lui, et sa tentative pour assumer ce dégoût et se rattacher par lui à la vie échoue dans la décomposition du corps de la gouvernante qui l'attirait, d'une façon nettement ambiguë. En même temps, cette putréfaction n'atteint pas sa personnalité puisque celle-ci s'affirme dans la résistance à l'absurdité générale - la "désobéissance".

La maladie de Luca est l'occasion de crever l'abcès: les bourgeonnements nauséabonds l'envahissent entièrement dans son délire, évoquant fortement les crustacés qui poursuivaient Sartre (il semble que le grouillement de pattes ou de pinces soit une obsession existentialiste fort répandue..). Quand Luca émerge du délire, c'est dans un univers qui reste peuplé, mais cette fois-ci ce sont des volontés bienveillantes et proprettes qui l'habitent. Cela peut difficilement être considéré comme un message d'espoir, toutefois, car Luca reste complètement à côté de ses pompes et pour tout dire un peu "ravi". Néanmoins il a retrouvé du sens à ce qui l'entoure sans perdre sa lucidité; il me semble que l'intention humaine, naïve et pas toujours très adroite, qu'il déchiffre à présent dans tout ce qui l'entoure, des attentions amoureuses de l'infirmière aux étiquettes colorées sur les fioles de médicaments, bénéficie maintenant de son indulgence et de sa tendresse.

Pour autant, moi, lecteur, le sens de cette histoire ne cesse de m'échapper. Je n'ai pas eu à travers la désobéissance le sentiment de l'expérience, ce qui est d'autant plus injuste que vraisemblablement l'expérience est chez Moravia à l'origine de ce qui m'apparaît malheureusement comme une simple fable un peu ampoulée.

La question qui se pose pour moi après cette lecture est de comprendre pourquoi, dans cette époque terrible de crise du sens qu'ont été les années 30 et 40 en Europe, les hommes qui ont résisté aux solutions de facilité prétendant recréer un sens - à l'histoire ou à leur place sur la terre - l'ont payé en rêvant de crustacés?

La Désobéissance, Alberto Moravia, 1948

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