mercredi 21 octobre 2009

L'éthique du soldat français

S’appuyant sur de nombreux témoignages, ce livre défend de façon ramassée et accessible l’idée qu’un code de comportement fondé sur des valeurs universelles constitue un atout opérationnel et stratégique pour les forces armées, dans des contextes d’interposition mais également d’affrontement classique.

Cette thèse se heurte de prime abord au débat sur le caractère plus ou moins universel des valeurs en question, mais la question apparaît très rapidement comme peu pertinente dans la mesure où l’approche adoptée par le livre est essentiellement utilitariste et pragmatique. De fait, l’adoption de règles éthiques exigeantes apporte des bénéfices variés : préservation de la santé morale et psychologique des combattants, contagion positive entraînant un traitement décent par l’ennemi des personnes vulnérables (prisonniers, civils…), frein à la radicalisation, et amélioration significative des conditions de négociation en sortie de conflit. L’auteur prône donc le respect de la vie et de la dignité humaines ainsi que l’ambition d’exemplarité comme composante de l’efficacité des missions (ainsi bien sûr que de leur légitimité, celle-ci se construisant largement a posteriori).

Les exemples fournissent également matière à passer en revue les embûches qui conduisent aux dérapages : la peur, l’orgueil, le désir de vengeance et la perte de repères. La formation des hommes, la cohésion autour du chef et la responsabilisation de chaque soldat sont proposées comme les clés permettant de maîtriser ces facteurs. Ainsi un acte contraire à l’éthique ne doit-il jamais être « couvert » et passé sous silence, quelles que soient les circonstances qui ont entraîné le soldat à déraper.

L’auteur est cependant conscient des limites de l’approche conséquentialiste, puisque le chef ne maîtrise pas l’avenir au moment de sa décision ; il propose donc aux militaires de s’en tenir à la règle selon laquelle une intention bonne et une action bonne dédouanent l’auteur d’un acte de ses possibles conséquences mauvaises.

Au total, la réflexion s’appuie sur un cadre simple, absolument pas fumeux ou moralisant : on imagine aisément une modélisation économique des décisions reposant sur un coefficient attribué à l’utilité de chaque être humain, selon une courbe « en volcan » (les plus lointains ayant un coefficient tendant vers zéro, et les proches – la descendance, notamment, mais également les frères d’armes dans certaines circonstances – ayant un coefficient très élevé, celui de l’individu lui-même se situant un peu plus bas). Le cadre de la théorie des jeux est également sous-jacent, d’autant que le « dilemme du prisonnier » est parfois employé pour justifier des méthodes extrêmes, ce qui revient à oublier qu’on ne se trouve pratiquement jamais dans le cadre d’une partie à un coup, mais plutôt dans un nombre très grand d’itérations.

Ce qui manque ? un peu de légèreté de plume (le style est très « TTA »), quelques conseils pratiques aux jeunes officiers responsables de la formation de leurs hommes, et le sujet délicat de la guerre d’Algérie. L’auteur promet d’ailleurs d’y revenir dans une prochaine édition qui sera, semble-t-il, traduite en espagnol, voire en anglais. Bref, il s’agit d’un livre raisonnablement optimiste, qui pour moi apporte une réponse modeste et ciblée, mais assez convaincante, à la problématique posée par un John Rawls : comment construire une morale sans fondements religieux ?

L’éthique du soldat français, colonel Benoît Royal

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