mardi 27 octobre 2009

L'oeuvre au noir

Le côté antipathique de Marguerite Yourcenar, c'est sa maîtrise totale. Les Mémoires d'Hadrien m'ont fait passer l'idée d'écrire un roman; l'Oeuvre au Noir m'a même fait douter d'être capable d'en lire un correctement. Passons sur le fait que je suis obligée de recourir à Wikipédia pour comprendre le titre (et encore... l'alchimie, manifestement, exige qu'on s'y immerge); mais j'ai pratiquement dû relire la première partie du livre pour reconnaître Zénon dans le médecin de la peste et pour comprendre qui avait dépêché Perrotin. Entendons-nous, cela n'enlève rien à la clarté et à la qualité du roman: de fait, c'est plutôt un éloge, tant l'intrigue est construite et travaillée, et tant elle fait crédit d'intelligence au lecteur.

Il y a aussi cette langue, si ramassée et si directe qu'elle peut se permettre à l'occasion les détours les plus gratuits, il y a la densité des personnages, esquissés en quelques conversations - il est vrai développées à loisir - et pourtant présents, complexes, riches de virtualités et de plis qui restent obscurs, comme c'est le cas d'Henri-Maximilien et du prieur des Cordeliers. Qu'ont-ils compris, qu'ont-ils senti, qu'ont-ils pensé? plusieurs interprétations demeurent après leur mort, ce qui devrait en fait toujours être le cas. Il y a cette construction savante, avec les trois parties - l'errance, l'immobilité, la prison - mais surtout avec ces charnières si ouvragées que sont les chapitres Le Grand Chemin (ouverture sur une rencontre entre Henri Maximilien et Zénon au seuil de leurs vies d'errances), la Conversation à Innsbrück (deuxième et dernière entrevue des deux cousins avant le retour de Zénon à Bruges), et la Promenade sur la dune, pour moi l'un des moments les plus forts du roman: Zénon renonce, à la faveur de cette expédition, à reprendre sa vie errante pour sauver sa peau, et prend acte de la fin d'une phase dans la décantation de son propre être.

Il m'est resté de ma première lecture un sentiment d'horreur et d'effroi devant le climat de ce seizième siècle sanglant et de son ordre "liberticide" comme on dirait - stupidement - aujourd'hui; de la deuxième, outre l'admiration pour la belle ouvrage, l'amitié pour ces hommes libres que sont, chacun sur leur chemin, Zénon, Henri-Maximilien, Jean-Louis de Berlaimont. Et, franchement, je ne vois pas quoi ajouter; si vous n'avez pas encore lu l'Oeuvre au Noir, qu'attendez vous?

L'Oeuvre au Noir, Marguerite Yourcenar

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