samedi 21 novembre 2009

The Face of Battle

John Keegan, que je lisais pour la première fois en version originale, est un historien militaire remarquable, à plus d'un titre. Dans La Première Guerre Mondiale, il m'avait frappée par sa capacité à fournir une vision générale des opérations tout en restant manifestement sensible au sort du combattant. L'autre élément saillant de cette lecture était le point de vue très concret et très éclairant appliqué au décryptage des opérations; Keegan montre notamment dans ce livre comment l'évolution de l'armement et de la logistique, en précédant celle des transmissions, rend impossible le commandement "de l'avant" ou quoi que ce soit qui s'en rapproche.

The Face of Battle n'est pas consacré à un évènement mais à une analyse du phénomène "bataille" au cours de l'histoire. S'appuyant sur trois exemples (Azincourt, Waterloo et la bataille de la Somme en 1916) choisis notamment pour la relative richesse de la documentation disponible, Keegan décortique ce qui constitue le vécu de la bataille et analyse le niveau de contrainte physique et mentale - distinguant officiers et hommes du rang, fantassins et cavaliers, s'intéressant aux blessés et aux fuyards, évoquant la composition sociologique des troupes, leur état d'esprit au regard de la religion et la date de leur dernier repas chaud: le tout dans une langue élégante à laquelle l'anglais prête sa concision quelque peu retorse.

Le livre s'ouvre sur une introduction, très intéressante mais dont la lecture m'a parue particulièrement ardue, consacrée aux carences de l'historiographie militaire sur le sujet que l'auteur s'apprête à traiter; d'où il ressort que le sujet est toujours traité, dans l'espoir de recréer un sens là où, sur l'instant, il n'y en avait guère, d'une façon exagérément schématique et abstraite, les divisions faisant figure d'entités homogènes animées d'une volonté unique. Il se clôt par quelques chapitres de synthèse et de prospective d'une extrême richesse. On y décèle, chez l'auteur, un certain scepticisme quant à la capacité du char et de l'avion à changer le visage de la bataille, mais également une conception de la stratégie en complète opposition avec la fascination de la manoeuvre qui travaille par exemple Liddell Hart. D'une façon qui a été d'ailleurs reprochée aux généraux anglo-américains, notamment par ce même Liddell Hart, grand thuriféraire de Manstein et des généraux allemands, Keegan semble admettre qu'au total, une bonne accumulation de moyens et une doctrine d'emploi des forces pas trop stupide sont les seuls leviers dont dispose l'état-major. Pour l'avenir (le livre date de 1976) Keegan s'interroge sur les conséquences de l'intensification du niveau de contrainte pesant sur le combattant (avec la désorientation et le confinement liés au char ou à l'avion, la dépersonnalisation extrême, le combat 24/24 aujourd'hui permis par les dispositifs de vision nocturne) et suggère que celui-ci pourrait finir par s'effondrer avant même le contact effectif avec l'ennemi, rendant de fait caduque la notion même de bataille.

S'il fallait reprocher quelque chose à Keegan (opération à laquelle je répugne tant je suis impressionnée par l'intelligence de cet homme, par la qualité de son écriture et par la profondeur et l'étendue de ses connaissances), c'est un fond de partialité pour le soldat britannique. Je veux bien que la documentation ait été abondante, mais le choix d'Azincourt et de Waterloo me paraît quand même un peu orienté. Ah, le soldat britannique! sa patience, son endurance et sa bonne volonté, le sens du sacrifice de ses officiers! Keegan vous tirerait des larmes avec les bataillons de potes de Kitchener. Au fait, il y a de quoi. Mais, tant qu'à mettre la pile aux Français sur les deux premières batailles, il aurait pu consacrer plus de quatre lignes à leurs exploits pendant la bataille de la Somme - et éviter le commentaire narquois sur les tranchées françaises fleuries de marguerites récupérées par les Anglais avant l'offensive.

The Face of Battle, John Keegan, 1976

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