mercredi 4 novembre 2009

L'Araignée d'eau

L'Araignée d'Eau, et son auteur inconnu de moi jusqu'à la semaine dernière, m'ont été chaudement recommandés: sans quoi, je n'aurais jamais pensé à m'y intéresser. Le fantastique m'a toujours fait l'effet d'un genre difficile, où l'échec est fréquent et généralement fort ridicule; il est bien rare qu'un auteur parvienne, à coup de visions "d'angles obscènes" ou de créatures indescriptibles, à entrer en résonance avec l'expérience de son lecteur.

Mais c'est précisément ce que fait Béalu dans l'Araignée d'Eau, avec une extraordinaire habileté. Par l'exploration de ces marges incertaines qui s'étendent entre le rêve et l'éveil, où il déploie un sens étonnant de ces détails précis et déplacés qui donnent sa puissance au rêve tout en révélant au rêveur son état; par ses pérégrinations aux accents vaguement bradburiens dans ces lieux fantastiques par vocation que sont les foires et les échoppes borgnes à la destination douteuse; par la confrontation à une logique implacable dont le principe fuit devant la raison, dans un mouvement qui rappelle Borges...

Le conte de l'Araignée d'Eau et les courts textes des Messagers Clandestins (avec mentions spéciales pour le Soliloque d'un veuf, les Enfants Rois et la Chronique de l'An Pire) qui complètent le recueil enlacent trop de thèmes pour qu'il soit possible d'en extraire l'arête: l'amour et la mort, la pureté et la faute s'y rencontrent dans une complexité qui appelle là encore à l'expérience des vies humaines où rien n'est réellement démêlable.

Cette maîtrise exceptionnelle, qui s'appuie sur un vocabulaire transparent où affleure parfois une dérision grinçante, m'a donné l'impression de toucher du doigt pendant quelques instants le propos et le sens même de la littérature fantastique: explorer et déplier la couche supplémentaire de réalité, obéissant à des lois insaisissables, qu'introduit dans le monde physique le grouillement fascinant du psychisme humain. Alors que le fantastique crée souvent un sentiment de frustration ou de mystification chez le lecteur, on referme l'Araignée d'Eau à regret, avec le sentiment de tenir dans sa main une boîte remplie de quelque chose de chatoyant et de visqueux.

L'Araignée d'eau, Marcel Béalu, 1948

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