mercredi 2 décembre 2009

Crime et Châtiment

L'odeur de l'humanité prend si bien à la gorge, à la lecture de Crime et Châtiment, qu'on attend la dernière page comme une délivrance. Dans un Pétersbourg tour à tour étouffant et dégoulinant, gangrené par les maux du Moyen Âge et par ceux du vingtième siècle, puant de misère et d'obscurantisme et abritant toutes les fermentations nihilistes, utopistes ou socialistes, Raskolnikov s'agite comme un ludion.

Autour de lui, aucun personnage qui ne soit par instants la caricature de lui-même. Sonia, image du sacrifice, est prostituée. Le juge d'instruction manipule sa proie avec cruauté, mais, finalement, pour son bien. Svidrigaïlov est débauché et sournoisement généreux. Katerina Ivanovna se tue à la tâche pour rester digne et se donne en spectacle au coin des rues. "Toute cette psychologie est à double fin", comme le dit Raskolnikov lui-même; de chaque acte, on peut déduire sur la nature et les motifs de son auteur une chose et son contraire.

Au milieu de ce carnaval, Raskolnikov est torturé par sa propre théorie selon laquelle les grands hommes, d'une autre essence que le vulgum, ont une éthique et de fait des droits particuliers, notamment celui de verser le sang pour atteindre leurs objectifs. Hélas! il est passé à l'action, et n'a pas supporté d'être un grand homme. Sa rédemption commence dans l'épilogue, quand il accepte de rejoindre la communauté des hommes-poux, au milieu des bagnards et auprès de son amie prostituée.

Crime et Châtiment est construit autour de cette réflexion un peu pataude sur la condition humaine; son originalité est sans doute dans la conjonction de cette tentative philosophique, d'une peinture sociale très frappante et d'une intrigue policière et psychologique moderne, ramassée sur une quinzaine de jours. Ce qui fait la puissance de cet amalgame tout de même légèrement indigeste, c'est son climat d'instabilité et, en fait, de danger permanent: chaque personnage est sur la corde raide, entre folie et raison - un bon tiers de l'effectif meurt d'ailleurs en cours de route - chaque scène est outrée, menaçant à tout instant de dégénérer. Quel chaudron! décidément, à l'idée de lire autre chose, on se sent soulagé.

Crime et Châtiment, Fédor Dostoïevski, 1865
Trad. D.Ergaz

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