mardi 29 décembre 2009

Heureusement qu'on a les Nazis

Le 22 décembre dernier est parue sur lemonde.fr une tribune de Jean-François Bouthors intitulée « Après l’étoile jaune, faudra-t-il porter l’étoile verte ? ». Voilà un exemple type de l’utilisation ordinaire qui est faite aujourd’hui de notre pire souvenir historique.

La pertinence de la comparaison (entre le « débat sur l’identité nationale » et l’Holocauste, rien de moins) est pour le moins fragile. Dans un cas, un régime méprisant la démocratie s’est approprié une théorie historico-scientifique du rôle des Juifs et l’a fait avaler par un endoctrinement énergique à un peuple gravement perturbé par vingt années de tribulations ; cette démarche s’est accompagnée d’une privation de droits progressive englobant finalement jusqu’au droit de survivre. Dans l’autre cas, une démocratie laïque ronronnante constate avec inquiétude la présence en son sein de quelques fondamentalistes religieux, peu nombreux certes, mais vigoureusement prosélytes et parfaitement intolérants. La République ne dispose d’aucun outil idéologique ou juridique pour répondre à ces positions qui la contredisent : la liberté d’opinion et d’expression lui est consubstantielle, les théories historico-génétiques du racisme sont depuis longtemps discréditées, la laïcité souffre d’une définition à géométrie variable. Comment passe-t-on d’une situation à l’autre, et qu’est ce qui encourage les contempteurs de l’initiative au demeurant maladroite de Besson à crier au génocide programmé ?

Soit la raison l’impose, en raison de similitudes profondes entre les deux moments de l’histoire : un examen honnête de la question me paraît devoir tendre à la conclusion inverse. L’articulation entre les deux termes de comparaison est le racisme : avéré chez les Nazis, supposé chez le Français moyen, couramment soupçonné de « bas instincts » et de penchants « nauséabonds ». Or il serait honnête de reconnaître enfin que le racisme, en France, n’existe pratiquement pas. Encore faut-il utiliser le mot dans son sens véritable : le racisme, comme conviction que son héritage génétique rend une population inférieure, voire nuisible à une autre, n’existe pas. La culture génétique du vulgum étant aujourd’hui ce qu’elle est, grâces en soient rendues au Téléthon, les théories à la Gobineau n’ont ni ancrage dans la population, ni chance d’en retrouver un. De surcroît, l’échelle de valeurs pour caractériser le supérieur et l’inférieur fait aujourd’hui défaut - l’universalisme occidental a beaucoup fait pour. La xénophobie, la méfiance vis-à-vis de l’Islam existent et sont fondées sur des appréhensions beaucoup moins irrationnelles qu’on ne le dit. Mais les « bruits et odeurs » tant reprochés à Chirac n’indisposent que les odorats qui n’y sont pas habitués, sans que nul ne conclue à l’infériorité intrinsèque de qui les produit. Déménager pour ne pas habiter à côté, ce n’est pas du racisme, mais de la xénophobie ordinaire ; ce n’est pas nauséabond, c’est un peu de paresse, un peu de fatigue, de la part de gens qui ont bien d’autres ennuis quotidiens. De même, si la notion de fatwa indispose le citoyen moyen, c’est au pire par une « islamophobie » guère différente de l’anti-cléricalisme féroce d’un Clemenceau, et tout aussi saine : cela n’implique aucune forme de racisme. Le racisme militant, condition nécessaire à la décision d’extermination d’un peuple, est en France l’affaire d’une poignée de cinglés complètement en marge de la vie publique : je mets le lecteur au défi de citer une publication de quelque envergure défendant ce type de théories.

Si le rapprochement n’est pas rationnel, c’est qu’il est purement émotionnel. Un Français normalement constitué, choqué par n’importe quel discours qui lui apparaît contraire aux valeurs républicaines, est automatiquement ramené au référent du mal absolu que constitue le nazisme. La réaction des communistes, descendants intellectuels du plus grand buveur de sang européen du XXème siècle, quand on les compare aux Nazis montre quel rôle de zéro absolu sur l’échelle morale joue le régime hitlérien : ce sont des cris de pucelle effarouchée, que tout le monde écoute d’un air benoît. Pourquoi ce succès des nazis comme affreux universels ? Sur quelle spécificité la résolution d’avril 2009 du Parlement européen (qui devait initialement condamner les crimes communistes) se fonde-t-elle pour affirmer finalement la « nature particulière » de l’Holocauste, alors que l’herbe pousse en silence sur les tombes des victimes de la famine organisée en Ukraine ou des déportations de populations entières considérées, femmes, enfants et vieillards compris, comme « ennemis objectifs » de la Patrie des Travailleurs ? Plusieurs facteurs concourent à faire de l’analogie avec le nazisme un puissant levier émotionnel et, par là même, un cache-misère intellectuel. D’abord, outre que les attributs classiques du nazi archétypal, le SS, le rendent excessivement cinégénique, l’existence d’images des camps de concentration et d’extermination nazis a probablement joué un rôle prééminent dans l’ancrage du nazisme comme mal absolu. Le « choc des photos », par son impact immédiat et viscéral, a surclassé le poids des mots - et des chiffres. Ensuite, historiquement, les réflexes acquis pendant la seconde guerre mondiale se sont conjugués avec les effets de la propagande soviétique érigeant le fascisme, tout au long du XXème siècle, en ennemi protéiforme toujours prêt à resurgir. S’ajoute à ces circonstances une raison plus spécifiquement française : comme Français, nous avons eu une part de choix dont nous n’avons jamais expié l’amertume. Ni les Allemands, ni les Britanniques, ni les Italiens n’ont réellement eu ce choix ; il n’a pas marqué de son empreinte leur société d’après-guerre. Si de Gaulle a assuré à la France un strapontin dans le club des vainqueurs, il a également contribué à entériner une division très profonde de la nation. Collectivement vaincus et humiliés, aurions-nous mis tant de chaleur à nous accuser les uns les autres d’entretenir la tradition de la collaboration ? Enfin, le nazisme, c’est entendu, est notre horreur à nous Occidentaux, l’horreur européenne, technophile et scientifique, l’horreur bureaucratique et taylorisée, l’horreur perpétrée par des docteurs en droit ou en philosophie. Le nazisme est en cela le rêve du relativiste. Pour celui qui critique en l’Occident la prétention universaliste et qui voit dans la Charia un système de droit de même valeur que les nôtres, à considérer dans le cadre culturel qui est le sien, le nazisme est le parfait terme de comparaison. Le relativisme poussé à son terme interdit en effet de se comparer avec un autre que soi-même : heureusement, nous avons les nazis ! ils sont nous-mêmes, et ils sont mauvais. Est-ce commode !

On comprend, à lire le texte de M.Bouthors, ce qui motive l’émotion autour du débat sur l’identité nationale. Au départ, la question est mal posée, puisqu’on s’interroge sur le fond avant de définir les termes – qu’est-ce qu’une identité nationale, n’importe laquelle ? qu’est-ce, par exemple, que l’identité nationale belge ? Mais surtout, la bien-pensance nationale s’effraie d’une atteinte au dogme relativiste. Il ne vient sans doute pas à l’idée de ses tribuns que c’est à force de relativisme, à force de repentance tous azimuts, à force de désir de préserver l’héritage culturel de chaque enfant d’immigré au risque de l’y enfermer, que l’on finit par poser la question de cette mystérieuse identité nationale. Une nation connaissant son histoire sans en être enivrée, une nation assumant sa vision de l’homme et de la politique à la face du monde et sachant la proposer à ses nouveaux enfants, sans arrogance mais avec conviction, se poserait peut-être avec moins d’angoisse la question de son identité. Une telle nation oserait voir dans l’Europe ce que les Etats-Unis, du fait de leur situation géographique et de l’accident historique qui en a fait une super-nation, ne peuvent être aujourd’hui : le cheval de Troie du libéralisme politique dans la Méditerranée. Une telle nation dirait oui à la Turquie et cesserait de financer les cultes – tous les cultes – et de réserver des horaires aux femmes dans les piscines.

6 commentaires:

  1. Ce JF Bouthors a mérité un bon gros point Godwin (google "godwin law" si tu n'en a jamais entendu parler)

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  2. En revanche lorsque tu affirmes que "le racisme n'existe pratiquement pas en France" je crains que tu ne sois trop optimiste. On trouve tout l'éventail entre la mamie qui ne veut pas louer son appart' à un arabe et le néo-nazi pur et dur (j'en ai connu). Au total, plusieurs millions de personnes.

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  3. Je pense qu'il y a une différence entre le racisme idéologique et une sorte d'aversion au risque: certains ne louent pas aux Arabes, d'autres aux mères célibataires, et personne ne loue à un chômeur. Ca n'a pas de dimension morale, c'est juste qu'on préfère louer à Jean Sarkozy, si c'est possible.

    Quant aux néo-nazis, ma foi, il y a toujours des cinglés, mais ils sont réputés... cinglés, justement. Non?

    Je reconnais, cela dit, que la démonstration est un peu rapide et l'argument un peu faible. Mais il y a tellement d'autres raisons pour lesquelles la comparaison avec le nazisme est inepte que je me suis autorisée un raccourci...

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  4. D'aucuns disent que la France a le taux de mariages mixtes le plus élevé d'Europe, et que ce chiffre vaut brevet d'anti-racisme.

    a part ça, deux points m'ont fait bondir dans ce post : la saine islamophobie, sur laquelle je reviendrai à une heure plus... catholique (!), (d'ailleurs, n'as tu pas réécrit ce passage ?) et la formulation "toutE aussi saine".

    "Tout" et moi sommes en guerre depuis longtemps ; ici, j'aurais plutôt écrit "tout aussi saine", et je demande donc confirmation.

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  5. Verdammt! tu as raison pour "tout aussi saine". J'ai corrigé.

    Pour le reste, ça demande développement!

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