dimanche 31 janvier 2010

Ce que j'ai cru comprendre

Il n’est peut-être pas très honnête de reprocher à un auteur de n’avoir pas écrit le livre qu’on voulait lire. Aussi n'est-ce pas ce que je vais faire. Il se trouve que j’ai lu Ce que j’ai cru comprendre par intérêt pour le communisme dans sa version française, après m’être convaincue, à la lecture de Philippe Robrieux, que rien ne valait l’observation de l’intérieur pour parler du PCF. Je n’y ai rien appris, ou presque, sur ce sujet, tant l’angle choisi par Annie Kriegel est limité. Il ne s’agissait pas en effet pour elle de rédiger un document sur le PCF mais d’écrire ses mémoires : ce dans quoi elle s’implique, ceux qu’elle a connus, voilà ce qui fait toute sa matière. Elle ne s’essaie à prendre du champ que sur lsraël et les rapports entre les juifs et le socialisme. Tant pis pour moi, qui ai avalé les 842 pages de Ce que j’ai cru comprendre sans même y prendre plaisir.

Car enfin, même quand on ne trouve pas dans un livre ce qu’on y cherchait, on peut passer un bon moment. Or Annie Kriegel m’a énervée dès le début, avec son ode aux vertus domestiques de sa mère (dont elle parle comme si elle avait eu douze enfants ; il m’a fallu accumuler les recoupements pour déduire, finalement, qu’elle en avait quatre, comme tout le monde). Elle creuse durant tout le livre cette veine vaguement moralisante, pinçant le nez devant les mœurs des parents modernes, nous servant du « mon époux » à tour de bras et regrettant, sur la fin, de ne pas avoir été croyante, parce que « sa maison aurait été plus belle encore si les heures et les jours de la Tradition en avaient scandé la vie quotidienne ».

Passe encore que son personnage m’ait agacée : j’en ai autant, pour des raisons différentes, à l’encontre de Simone de Beauvoir (que d’ailleurs Annie Kriegel ne peut pas supporter, fort logiquement). Mais au moins Beauvoir écrit-elle un français clair et que je lis volontiers, alors que le style d’Annie Kriegel est impardonnable. Faussement classique, truffé d’expressions comme la « jeune vigueur » ou le « mâle courage », il emprunte au grec ses phrases interminables dans lesquelles les négations successives finissent par occulter complètement le sens, quand on a eu encore la perspicacité d’identifier tout simplement le sujet : j’ai déniché une phrase dans laquelle celui-ci (en l’occurrence « le Parti ») était relégué à treize lignes du début. Ajoutez à cela que l’on rencontre beaucoup de gens que l’on ne connaît pas et dont le portrait manque de substance, si bien qu’on les reconnaît pas davantage à la page suivante ; que, dans la période communiste, le galimatias bolchevisant se superpose à la langue déjà pâteuse de l’auteur ; et que l’on avale, pour couronner le tout, des tombereaux d’une pesante érudition – le voyage en Israël, par exemple, est introduit par deux pages de divagations sur le thème de l’eau qui permettent d’évoquer, pêle-mêle, les Esséniens, Massada, Hérode, Pline, Gédéon et les Madianites, Saladin, les Nabatéens, et toute une liste de fruits et légumes exotiques.

Le paradoxe est que si j’ai trouvé Ce que j’ai cru comprendre illisible et prétentieux, son auteur me paraît, la dernière page tournée, assez sympathique. Elle s’arrange au total pour donner d’elle-même l’image d’une petite bonne femme sentimentale et pas très imaginative, observant avec angoisse les évolutions de la société et concluant qu’en dehors des progrès manifestes que sont la péridurale et le lave-linge, tout est allé plutôt de mal en pis. On a donc ainsi un échantillon de ce que donne la Mère Denis quand elle fait Normale Sup.

Ce que j’ai cru comprendre, Annie Kriegel, 1991

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