vendredi 1 janvier 2010

Dagon

L'histoire de Dagon est celle de Peter Leland, jeune pasteur introverti qui se retire pour un été dans une maison isolée héritée de ses grands-parents afin de travailler à un ouvrage intitulé "Vestiges de Paganisme dans le Puritanisme Américain". Il est évidemment prédisposé à réagir à certaines découvertes qui évoquent, dans la maison même, un culte païen à base de sacrifices humains, recyclage du mythe lovecraftien de Cthulhu. De plus en plus perturbé, il tombe sous la coupe de la fille de ses métayers, l'inquiétante Mina, elle-même adepte de pratiques religieuses peu orthodoxes impliquant des serpents; humilié, torturé, réduit à l'état d'épave consentante, il est finalement lui-même sacrifié. (Je ne vous gâche pas le livre en vous en révélant la fin, car on la sent venir dès la page 4).

Dagon est un voyage psychologique à travers plusieurs grands fantasmes noirs de l'Amérique: les cauchemars de HP Lovecraft, le christianisme déviant des "snake handlers" illettrés et abrutis d'alcool, la terreur puritaine de l'orgie, le tueur sadique. C'est donc un bel effort de synthèse, adroitement mené en ce que, en dehors de la relation centrale de victime à bourreau entre Peter et Mina, tous les éléments relevant de chacun de ces thèmes fantasmatiques peuvent être lus à deux niveaux, comme occurrences réelles ou comme divagations de Peter. Le roman transpose ainsi dans le texte, en évoquant ces fantasmes sans jamais en attester la matérialité, l'angoisse du non-dit et du secret mortel qui fait leur puissance.

Pour autant, la lecture m'en a été pénible: je ne suis pas assez pénétrée des angoisses de l'Amérique profonde pour avoir été terrifiée, et j'ai donc subi sans être accrochée par l'intrigue l'ambiance du livre, qui pèse sur les sens. Le froid dans la maison, la chaleur sans rémission à l'extérieur et chez les métayers, les odeurs, la crasse, la brume d'alcool: Fred Chappell ne laisse jamais au lecteur la moindre chance d'échapper au malaise physique de son personnage.

Je note cependant que l'académie française a honoré Dagon du Prix du meilleur livre étranger en 1968, ce qui semble indiquer que, si ce livre est trop américain pour moi, il ne l'a pas été pour tout le monde.

Dagon, Fred Chappell, 1968
Trad. Maurice-Edgar Coindreau

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