mardi 12 janvier 2010

Loi du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort

Sur le site de l’Assemblée Nationale, on peut télécharger le compte-rendu des débats parlementaires des 17 et 18 septembre 1981 sur l’abolition de la peine de mort (ici : première, deuxième, troisième et quatrième séances). Si l’on ne rechigne pas à lire quelques cinquante pages de Journal Officiel, c’est un document fascinant sur le fonctionnement et les valeurs de notre démocratie.

En ce mois de septembre 1981, l’état de grâce n’a pas encore vécu pour les socialistes et leurs alliés communistes : ils sont pleins de l’arrogance qui leur vient de leur nombre et d’une naïve confiance dans leurs propres forces. On plaint presque les socialistes, trente ans après, quand on les voit s’emballer sur la refonte du système carcéral, le partage des richesses, la prévention de la criminalité par l’éducation… A côté d’eux, les communistes sont en pleine schizophrénie post-électorale, entrant de plain-pied dans les affres de la social-démocratie et arborant fièrement des convictions humanistes quelque peu comiques chez ceux qui étaient encore cinq ans plus tôt les séides de l’Union Soviétique. En face, la droite est renfrognée et manifestement agacée par le zèle du gouvernement et des nouveaux députés.

Le débat qui se noue alors est l’occasion pour nombre de députés de dire leur mot, non pour apporter des arguments originaux ou pour influer sur le résultat du vote – la loi passera, tout le monde le sait – mais apparemment pour prendre date avec la postérité. Ainsi, et cela vient comme autant de cheveux sur la soupe, plusieurs députés s’escriment à prouver que leur vote sur la peine de mort est directement en cohérence avec l’ensemble de leurs options politiques. La palme du hors sujet revient à Gisèle Halimi, qui explique que c’est en tant que féministe qu’elle est abolitionniste. Les communistes, qui font des phrases sur leur amour de l’humanité et sur la refondation de la société, ne sont pas tellement plus crédibles. Mais Badinter lui-même a ouvert le feu en expliquant longuement que l’abolition était un combat de la gauche, allant jusqu’à citer le précédent de la Convention qui proclama l’abolition de la peine de mort « à dater de l’instant où la paix générale serait rétablie ».

Sur le cœur du sujet, il y a débat entre ceux qui souhaitent soumettre l’abolition à referendum, ce qui conduirait à une véritable information de l’opinion (majoritairement opposée à l’abolition à la date du débat) et ceux qui rejettent l’idée au motif que le droit pénal ne relève pas du champ du referendum, délimité par l’article 11 de la Constitution.

Il y a débat entre ceux qui souhaitent une abolition immédiate par article unique, et ceux qui réclament que la révision de l’échelle des peines et autres modifications du code pénal rendues nécessaires par cette abolition soient votées en même temps qu’elle. Les premiers tiennent que le maintien en droit recouvrirait, pendant le temps nécessaire à l’élaboration des dispositions pénales ad hoc, une abolition de fait, et qu’autant vaudrait dès lors mettre le droit d’accord avec la pratique et se débarrasser d’une peine devenue, au sein de la communauté européenne, une horrible et incompréhensible particularité française. Les seconds, pour les mêmes raisons d’ailleurs – l’abolition de fait liée à la répugnance des jurys et à la grâce présidentielle – ne voient pas matière à se précipiter.

Il y a débat entre ceux qui considèrent la peine de mort comme un crime légal et ceux qui la voient comme une mesure de dissuasion mais surtout de prévention de la récidive. Tous les orateurs s’accordent en effet à considérer que la détention réellement perpétuelle est une peine inhumaine qui ne peut s’envisager: la question est dès lors celle de la responsabilité de la société dans les crimes commis par des récidivistes. Le débat met en balance la mort réelle du coupable et la mort potentielle de ses futures victimes. Sur cette question de la prévention il y a, en vertu du droit français qui ne condamne que celui qui est responsable de ses actes, une sorte de paradoxe qui n’est pas soulevé dans le cours des débats : la prévention ultime, par la suppression du meurtrier, est exclue pour ceux des meurtriers qui ne sont pas maîtres de leurs actes et dont on peut donc supposer qu’ils récidiveront dans tous les cas. Le droit interdit donc de fait d’employer réellement la peine de mort de façon préventive et l’argument de la prévention paraît dans cette perspective incomplet et un peu boiteux.

Les mêmes qui voient dans la peine de mort un crime légal s’opposent également à ceux qui en rappellent le caractère expiatoire et s’inquiètent du risque que les parents des victimes fassent justice eux-mêmes et du respect dû aux victimes. Plusieurs amendements proposeront pour cette raison de supprimer la peine de mort sauf pour des crimes particulièrement odieux – ce qui revient, naturellement, à ne pas la supprimer, puisqu’elle n’est de toutes façons pas prononcée pour les autres.

Il y a débat encore entre ceux qui voient dans la peine de mort une question de politique, donc essentiellement pratique, liée à une conception donnée de l’efficacité de la société, et ceux pour qui la question est essentiellement morale et donc située au-delà des calculs de coûts et de bénéfices. La distinction n’est pas sans importance car les opposants à l’abolition dénoncent la discipline de vote que vont appliquer les socialistes ; leurs protestations sont cependant un peu paradoxales car ce sont essentiellement des arguments politiques qui militent contre le projet dont ils veulent cependant faire, pour le repousser, une question morale.

La lecture intégrale des débats a ceci d’intéressant qu’elle rend ses nuances à un sujet que, trente ans plus tard, on voit volontiers de façon tranchée. Elle pose aussi, sur le fond, une question qui ne s’exprime pas directement mais qui est sous-jacente à la plupart des interventions : quelle est la fonction, quel est le sens du symbole en politique ? C’est le symbole, d’évidence, que cherche Badinter par cette loi rapidement bâtie et rapidement votée ; c’est sur le symbole qu’il argumente, quand il dépeint l’opprobre que la peine de mort fait peser sur le droit français ; c’est sur le symbole qu’il compte pour faire évoluer les esprits et repousser la peine de mort dans les limbes du passé. Fait-on de la politique avec des symboles ? les socialistes s’y sont assez souvent cassé les dents ; l’histoire a pourtant, cette fois-là, donné raison à Badinter, mais les réticences de ses opposants criant à l’effet de manches paraissent pourtant raisonnables. Enfin, le débat contient aussi en filigrane une question exprimée plus ou moins clairement par Claude-Gérard Marcus lors de son intervention contre le projet de loi : comment une société absolument humaniste, où l’on sacrifie le collectif (la sécurité de tous) pour le salut de l’individu (le criminel), peut-elle survivre, quand ses valeurs menacent sa propre pérennité ? C’est la « démocratie contre elle-même » de Marcel Gauchet : un problème central aujourd’hui, auquel nous n’avons guère de réponses.

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