samedi 9 janvier 2010

Lord Jim

Voilà un roman bâti autour d’une destinée et écrit dans un anglais luxuriant; les personnages secondaires y sont hauts en couleur, chargés souvent eux aussi d’un destin peu commun dont l’auteur nous fait cadeau en prime, peut-on dire. Si l’ambiance du livre est grave, des descriptions ou des lambeaux de scènes franchement comiques émaillent le récit, généralement d’ailleurs aux dépens d’un Français, d’un Allemand ou d’un métis - le tragique est réservé aux sujets de sa Majesté. Le personnage principal est très soigneusement mis en scène, sur le plan visuel notamment, d’une façon quasi impressionniste: on le voit souvent se détacher, immaculé, sur un fond sombre. Le lecteur est à certains moments aussi proche de lui qu’on peut l’être, à travers son récit direct ou à travers le regard de Marlow qui décrit l’impression que crée sa présence physique. Tout est mis en œuvre pour faire de Jim un héros inoubliable.

Tout ceci est assez conforme à ce que j’attends d’un roman, et j’aurais dû aimer Lord Jim. Mais en fait… non. Parce que Conrad écrit là le roman d’un empire colonial britannique dont je connais mal l’histoire et la culture ? Parce que l’histoire de Jim est d’un romanesque par trop échevelé ? Parce que les personnages qui l’entourent de près sont tous d’une vilenie ou d’une noblesse insoutenables, ce qui est un peu maladroit dans un roman du conflit moral, de la faute et de la réparation? Ou à cause des méthodes audacieuses employées par Conrad pour faire avancer le récit, donnant la parole à plusieurs personnages pour raconter le même évènement, dévoilant une issue avant de raconter l’épisode correspondant, glissant sans crier gare d’un point de vue narratif à un autre ?

Je ne sais trop : le fait est que chacun de ces facteurs contribue à alourdir le poids d’altérité qui pèse sur Jim. Il est « l’un des nôtres » comme le serine Marlow, incarnation par ses valeurs, ses espoirs et sa mine de l’aventure coloniale britannique, qui n’est plus la nôtre, justement. Il est une sorte de héros maudit, poursuivi par l’écho de sa faute au travers de coïncidences successives qui le dépouillent, finalement, de toute individualité pour ne laisser de lui que cet évènement originel. Et si le lecteur est souvent proche de lui, il ne le touche jamais: faute de faire l'objet d'un récit omniscient, ou de s'exprimer directement à la première personne, Jim est toujours séparé du lecteur par le regard d'un narrateur, que celui-ci parle de lui ou juge son discours.

Au total, paradoxalement, l’accumulation de procédés superlativement intelligents et maîtrisés fait de Jim une sorte de héros de fable ou de mythe plutôt que de roman. Peut-être cette déshumanisation du héros est-elle volontaire, mais j’ai plutôt l’impression qu’elle résulte d’un loupé – du côté de Conrad, ou, plus probablement, du mien.

Lord Jim, Joseph Conrad, 1900
Trad. Philippe Neel

1 commentaire:

  1. Moi j'ai trouve ca tellement nul que je ne l'ai meme pas fini. Il m'enerve, Jim. Il a fait une faute et au lieu de gerer et de continuer sa vie, il essaye de se cacher et de faire oublier. Pas courageux.

    D'ailleurs je n'aime pas du tout Conrad, je trouve que c'est une "drama queen."

    RépondreSupprimer