jeudi 18 février 2010

A serious man

Je ne suis pas cinéphile et je crains que ce commentaire ne soit un peu naïf, mais personne n’est obligé de le lire, après tout.

A serious man m’a frappée par son mode de narration : le film est construit par séquences qui s’enchaînent assez abruptement, chacune d’elles tendant ainsi à constituer une unité dans le film. Mais ces séquences ne sont jamais closes : elles ne contiennent pas de réponse ou de conclusion. Elles en contiennent d’ailleurs d’autant moins qu’en fait, elles ne disent pas grand-chose : elles fonctionnent plutôt en immergeant le spectateur dans un moment dont la longueur est généralement hors de proportion avec la contribution narrative proprement dite de la séquence. Quand Larry monte sur son toit pour réparer son antenne ou quand son fils écoute de la musique pendant un cours, le temps s’étire sans qu’à proprement parler il ne se passe rien, ce qui met de fait en lumière le caractère purement exotique de la vie des personnages. Ils sont « observés dans leur milieu naturel » et l’absence de commentaire (ou de la forme de justification de la scène que constituerait l’intervention d’un évènement) renvoie au caractère impénétrable du monde observé, tout en créant, paradoxalement, une forme d’empathie avec les personnages.

Le traitement de l’espace renforce l’effet produit par le traitement du temps : le monde filmé est un monde clos, soit parce qu’il est cloisonné en un petit nombre de lieux fermés, pièces ou bureaux, soit, quand le paysage est ouvert, parce qu’il est présenté comme une inclusion dans le néant. La maison de Larry, son gazon vide et la route au bout de laquelle réapparaît périodiquement le bus scolaire constituent, finalement, une cellule tout aussi fermée que sa salle de cours : l’histoire fait irruption dans ce monde sans le toucher et reste totalement intérieure aux personnages, ne modifiant qu’à la marge l’aspect des choses. Ainsi l’éviction de Larry du domicile familial ne change rien, visuellement. Le film feint ainsi l’observation distanciée d’une façon qui renforce à la fois l’intensité avec laquelle sont perçues les tribulations de Larry et le sentiment d’absurde.

Ce prisme zoologique signale la particularité de la communauté observée, en la renforçant par l’étrangeté radicale des quelques goys qui traversent le film, l’étudiant coréen ou le voisin facho. Le comique naît de cette étrangeté mutuelle soulignée par exemple par le générique (où les prénoms bibliques se succèdent en rafale) ou par le physique des acteurs – le personnage de Danny, notamment, rouquin maigrichon à long nez. Mais l’univers de Larry, tout étouffant et comique qu’il soit, est traité avec respect : ce Juif qui recherche dans une tradition déjà spectaculairement éloignée (rappelée par la scène pré-générique entre les grands-parents polonais) des réponses à ses difficultés est triplement honnête, dans sa volonté d’être un « homme sérieux », dans sa reconnaissance du fait qu’il n’y a pas plus de réponse dans la Torah que dans le principe d’Heisenberg, et dans le fait que cette reconnaissance n’entraîne pas de reniement. Cet homme sérieux finit cependant par trébucher sur ses valeurs, ce qui proscrit fort heureusement toute conclusion en forme de moralité – dans un sens ou dans l’autre.

A serious man procure ainsi le plaisir intense d’une narration très aboutie, où tout est nécessaire, et où cependant aucun sens n’impose finalement son poids au spectateur. On y retrouve le caractère fatal et gratuit de Fargo, par exemple : on ne voit pas trop ce que ça apporte, mais on regretterait de ne pas l’avoir vu.

A serious man, Joel et Ethan Coen, 2008

2 commentaires:

  1. Pas plus cinéphile (premier film vu des frères cohen!!)ai noté ce cadrage serré qui semble rassembler les clefs de lecture sur la communauté aux rituels archaïques, les conflits du moi sincère et de son environnement, le fatalisme face aux catastrophes externes, ... dans un langage pataugas (le scénario et les dialogues ne font pas dans la nuance)donnent finalement - si on veut - à interroger plus largement sur la raison d'être du petit d'Homme balloté dans son espace-temps de vie. Enfin je n'ai quand même pas trouvé matière à souvenir éternel... j'espère que celles et ceux qui vont plus souvent au cinéma pourront me conseiller mieux.

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  2. oups! désolée que tu te sois ennuyé!

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