dimanche 7 mars 2010

Antimanuel de Psychologie

Serge Hefez est psychiatre, psychanalyste et thérapeuthe familial et conjugal (vaste programme). Son Antimanuel est un drôle de bouquin, écrit à peu près comme un article de Elle, sur du papier glacé, avec des sous-titres de toutes les couleurs et des bandes dessinées en têtes de chapitres. En 260 pages (ou un peu moins, si on enlève les BD et les photos…) il nous convie à un voyage express à travers la psychologie. Attachement et intersubjectivité, rôle du plaisir, théories sexuelles infantiles, transfert et contre-transfert, Narcisse et Œdipe, masculin et féminin sont convoqués au triple galop pour décrire un double itinéraire, celui de la construction de la personnalité et de ses répercussions sur les relations amoureuses de l’âge adulte, et celui de la société occidentale, du patriarcat à l’individualisme.

Au-delà de la vulgarisation, la thèse plutôt sympathique défendue par Hefez est que les évolutions de la société impliquent une déstructuration de la cellule familiale qui n’est pas insurmontable pour la construction psychologique des enfants, mais qui implique de considérer avec davantage de décontraction les archétypes du père et de la mère – celui-ci qui sépare et qui frustre, celle-là qui cède et qui nourrit – pour en assurer les fonctions auprès de l’enfant sans obligatoirement les incarner dans un parent biologique appartenant au sexe approprié. De même, dans la relation de couple, les archétypes masculin et féminin ne servent-ils plus de modèles indépassables. Dans le couple ou dans la famille, les individus sont du coup confrontés à une fatigante liberté, qui entraîne le cas échéant des troubles ; mais Hefez n’a pas l’audace de remettre en question l’évolution sociale elle-même et de la considérer comme sujette à correction (et je suis bien d’accord avec lui sur ce point).

Une chose qui n’est sans doute pas particulière à ce livre m’a beaucoup dérangée à sa lecture : le lecteur est sans cesse distrait de ce que dit Hefez par son propre cas, auquel il n’a peut-être aucune envie de s’intéresser de trop près. S’il faut commencer à se casser la tête pour comprendre en quoi notre relation avec des parents à qui l’on n’a, à vue de nez, rien à reprocher est à la source des schémas calamiteux que nous reproduisons gaiement dans notre vie sentimentale, j’aime autant abandonner la psychologie, en revenir à Tintin au Congo, finalement moins subversif, et compter sur l'âge et la raison pour faire mieux la prochaine fois.

Antimanuel de psychologie, Serge Hefez, 2009

7 commentaires:

  1. le lecteur est sans cesse distrait de ce que dit Hefez par son propre cas, auquel il n’a peut-être aucune envie de M’intéresser de trop près.

    Soit je suis très mauvais en grammaire, soit il y a là un fort joli lapsus !

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  2. Ce genre de livre est assez dramatique, on ne peut pas revenir sur toutes les bêtises du genre "celui-ci qui sépare et qui frustre, celle-là qui cède et qui nourrit". Mais quand même, il faut bien le dire, il n'y a pas plus de liberté dans l'inconscient parce que le schéma de la famille bouge et comme le disait Lacan "si Dieu est mort, plus rien n'est permis".
    Et si vous n'avez rien à reprocher à vos parents mieux vaut en effet, lire Tintin.

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  3. J'ai le sentiment que le ton du commentaire de 2322 est inutilement agressif.

    Pourquoi ne pas se contenter d'écrire quelque chose comme : "la psychologie n'a pas pour but de donner aux fils le droit et les moyens de juger les pères, mais plutôt d'aider les premiers à tirer les enseignements des succès et échecs des seconds" ?

    Et si un des plus grands torts de la psychologie était d'avoir fait du statut de victime un must de notre temps, et d'avoir ainsi mis en péril les civilisations qui donnent à cette science plus d'importance que ses apports devraient lui valoir ?

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  4. Ma foi, j'ai fait crédit de bonne volonté à l'anonyme de 23h22, considérant qu'il en avait plus après Hefez qu'après moi.

    Je me demande quand même si la psychologie aide effectivement les rejetons à tirer les enseignements de leur passé. D'après mon expérience, ce n'est pas parce qu'on sait pourquoi on fait n'importe quoi... qu'on ne fait pas n'importe quoi. Comme dit notre Anonyme, il n'y a pas de liberté dans l'inconscient (quelle horreur!)

    Au sujet de ta réflexion sur les victimes, je pense en fait que le "tous victimes" va de pair avec un "tous bourreaux" et ne fait donc qu'éclairer la souffrance humaine sans du tout la démêler. Et il est difficile d'affirmer que la psychologie est la poule plutôt que l'oeuf dans le mouvement des sociétés occidentales vers l'individualisme.

    Bref, j'ai du mal à voir où on va, finalement, en approfondissant les questions psychologiques.

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  5. Merci pour la "bonne volonté" ! Et en effet, c'est plutôt le livre de Hefez que j'estime assez nul, que le compte rendu et je pense sincèrement qu'il vaut mieux lire Tintin.
    Et non la psychologie n'a pas pour vocation : de " tirer les enseignements du passé" ce qui, comme vous le dites bien, n'aurait pas beaucoup d'effets.
    Et enfin le statut de victime n'est pas du à la psychologie, Ce sont les politiques (parce qu'ils n'ont plus rien d'autre pour s'occuper) et les médias (parce que ça fait vendre) qui ont exploité le mise en scène des "victimes", et ce avec la complaisance, je vous l'accorde, de quelques "psy" de service. Ce qui donne des cellules de crise et des psychologues à gogo pour n'importe quoi.

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  6. A "plus de psychologie" – attitude qui dans une approche superficielle pourrait être mal comprise et reliée à l'anti science ambiant (antidarwinisme, freudisme, ...) dans un débat d'opinions de café – on pourrait substituer deux dimensions de réflexion:
    plus (basta!) de psychologisme – une certaine presse nous en saoule (Les précieuses ridicules d'un auteur à re-découvrir?). Les sciences sociales ne sont pas plus épargnées que les sciences dures (cf "d'ébats" sur le réchauffement climatique). En ce sens l'anti manuel trouve pleinement sens.
    plus (davantage) de psychologie/psychanalyse accessible: l'individu(e) que nous sommes a vraiment besoin d'outils avérés de vie et survie aux crises (cf Sept leçons de vie – J. Attali- Livre de poche) dans un contexte qui a rendu désuètes les "clefs/modalités" léguées/héritées. Les pistes de lectures de l'Antimanuel ouvre justement des fenêtres sur des envies de lecture, des pistes intérieures à explorer pour peu qu'on franchisse le pas (la porte au sens asiatique).
    C'est peut être sur un autre point que je critiquerai l'excellent antimanuel de psychologie de Serge EFFEZ: nul doute que la composante politico-sociale s'est emparée de la psychologie pour tenter de lui faire dire ce qui l'arrange. Même si on comprend les énormes pressions du politique sur le scientifique, l'énoncé de l'évidence quotidienne, ne justifie pas de s'étendre sur une si longue démonstration.
    Par contre l'analyse de cette tendance – comment/pourquoi dans une société qui a isolé l'individu de son groupe social de référence, pour lui faire porter toutes les responsabilités de la vie (dans ses cruautés cf Jean COOREN) à la mort (cf Elisabeth Kubler Ross) le politique cherche t il à légiféré à ce point dans les détails du quotidien, renforçant de fait l'encadrement de la personne (surmoi?) au détriment d'intériorisation des règles de vie (je, moi?)?
    Est ce une résultante de la gestion d'un mix de cultures internationales de tonalités névrotiques "limites" non miscibles? Un croisement avec la sociologie, l'anthropologie existe il, nous aiderait il?

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