mardi 9 mars 2010

Barton Fink

Ce film est l’histoire d’une dizaine de jours dans la vie de Barton Fink, écrivain venu à Hollywood pour y connaître une panne totale d’inspiration sur un scénario de film de lutteurs. C'est aussi un film absolument fascinant par l’habileté de sa construction et l’économie des moyens mis en œuvre.

Un très petit nombre de motifs récurrents irrigue tout le film. Autour du motif majeur de la page blanche, obnubilant Barton le peine-à-jouir, des motifs mineurs s’articulent qui gonflent jusqu’à remplir entièrement un univers rétréci, évoquant une expérience confinant à la privation sensorielle. Le moustique, le papier peint, les tuyaux narguent Barton Fink par leur passivité maligne. Il pourrait les quitter ; il est lié à eux et ne le veut pas – au point qu’on les comprend davantage comme partie de lui-même, le moustique incarnant son sommeil (et sa mort un brutal réveil), le papier peint partie d’un corps raide, mou et collant, les tuyaux tentacule et périscope inversés par où un extérieur insidieux s’immisce dans sa tête. A ces motifs mobiles répondent des motifs immobiles qui appellent à la disparition : le couloir éternellement vide et la photo de la jeune fille face à la mer sont deux facettes, bénigne et maligne, de l’oubli de soi. Moustique, papier, tuyaux, photo, couloir apparaissent, disparaissent et se reflètent comme les cinq éclats de verre d’un kaléidoscope. Le scénario que Barton Fink tente d’écrire fonctionne sur le même principe : mais appartement, lutteur, poissonniers, dulcinée et orphelin ne parviennent pas à entrer en mouvement.

Barton rencontre, comme dans le théâtre classique, un petit nombre de personnages en une succession de scènes dyadiques. A chaque fois il est seul avec celui qui lui fait face, même quand apparaît un truchement, un de ces épigones dont disposent chacun des protagonistes et dont la fonction est celle d’un miroir et d’un relais. Il est confronté à travers ces face-à-face à la catastrophe que représente son vis-à-vis. Les personnages incarnent en effet les désastres qui menacent l’écrivain. Le producteur Lipnick et ses séides Lou et Geisler incarnent le Barbare, le Midas exigeant de transformer ce qu’il touche en or au mépris de la dimension artistique et personnelle de l’œuvre. Mayhew, caché derrière Audrey, personnifie l’avenir de l’écrivain et la révélation de son inévitable imposture. Charlie suité des deux abominables détectives, c’est le Livre lui-même, monstre à double fond que l’écrivain refuse avec persistance d’écouter, jusqu’au jour où il l’entend enfin, le reconnaît et se libère du livre comme par un accouchement, alliant le soulagement à la destruction de toutes les attaches figuratives (ses père et mère, Audrey) ou littérales (le chevet du lit auquel Barton est menotté).

Comme voyage intérieur dans le monde de l’écrivain, Barton Fink est de mon point de vue un film remarquable et de ce fait extrêmement oppressant ; je ne l’ai pas trouvé drôle un seul instant, bien qu’on puisse être sensible à son humour évidemment assez grinçant. De fait, Barton Fink est si bien présenté comme la proie des forces qui le déchirent, ses conflits personnels sont si vigoureusement incarnés dans les personnages, qu’il n’en reste rien d’intrinsèque que le spectateur lui-même ne puisse endosser directement. On n’éprouve rien pour lui, on éprouve par lui, et il faut une capacité d’auto-dérision singulière pour parvenir à trouver ça drôle.

Barton Fink, Joel et Ethan Coen, 1991

1 commentaire:

  1. Pas vu le film mais ton commentaire évoque tant Christian Bobin, que ça donne envie du détour.

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