vendredi 2 avril 2010

Lorna Doone

Lorna Doone est un roman, un vrai, et un des tous meilleurs livres que j’ai lus ces six derniers mois. C’est même, je pense, un modèle du genre, grâce à son intrigue riche en rebondissements et cependant remarquablement économique, chaque personnage et chaque épisode étant nécessaire au progrès de l’action.

A la fin du XVIIème siècle, dans un Exmoor reculé et sauvage, aux confins de trois comtés, la tribu des Doone retranchée dans une vallée inexpugnable terrorise le voisinage. L’histoire est racontée par John Ridd, fermier local colossal et un peu épais, qui a à peine quinze ans quand on le rencontre pour la première fois : Lorna Doone est aussi un roman d’apprentissage (mais que n’est-il pas ?). L’ombre des Doone plane sur l’adolescence de John Ridd qui s’ouvre par le meurtre de son père et s’épanouit dans une passion contrariée pour la ravissante et délicate Lorna Doone.

Il est difficile d’expliquer la jubilation que procure la lecture de Lorna Doone. Est-ce la distance que créent à la fois le choix d’un roman historique, celui d’une contrée reculée et sauvage, et celui d’un narrateur vieilli qui revient sur ses jeunes années ? Les personnages du roman s’ébattent dans un univers quasi-fantastique où les chevaux (parfois d’une improbable couleur de fraise) pourraient presque parler, où les personnages affrontent les évènements les plus redoutables avec une remarquable absence de sens tragique et où la nourriture prend une dimension quasi-mythologique qui, pour le coup, renvoie franchement à un monde simple et perdu – comme (on a les références que l’on peut) dans la vallée galloise de Richard Llewellyn ou à la ferme des Wilder au temps de l’enfance du futur mari de Laura Ingalls.

Le point de vue du narrateur est pour beaucoup dans cette impression roborative : John Ridd, ce personnage a priori si peu romanesque (un marguillier !), fait par son langage imagé et son regard évidemment moins innocent qu’il ne le dit toute la force de ce roman revigorant. Parfaitement dénué de lyrisme, enclin à traiter sur le même pied hommes, bêtes et choses et à exiger de tout ce petit monde qu’il se comporte honnêtement, il vit dans un univers où la cruauté, la rouerie et la cupidité, sans parler de l’incurie administrative, sont comme les inondations et les chutes de neige des sujets de mobilisation, mais non de scandale. Si le redoutable Carver Doone et la fragile Lorna signalent les deux extrémités du spectre de la morale, les personnages sont généralement de ce point de vue d’une réjouissante ambigüité qui ne compromet nullement la cohérence de leur caractère, promptement campé comme il sied dans un roman qui tient parfois du feuilleton : Sir Ensor Doone le noble patriarche des brigands, son Conseiller rongé par l’avarice et sensible aux vertus ménagères, John Fry le fidèle valet de ferme hâbleur et paresseux, Tom Faggus le brigand culotté et séduisant, Stickles brave, fainéant et loyal, le joyeux et sanguinaire juge Jeffreys, l’oncle avare et atrabilaire finalement repenti…

Je n’ai rien vu à enlever ou à ajouter dans Lorna Doone qui m’est apparu véritablement comme un exemple de romanesque, auprès duquel les Trois Mousquetaires font une figure quelque peu languissante. On y trouve rassemblés des thèmes et des ambiances qui resurgissent un peu partout dans ce que je connais de la littérature anglaise du XIXème, voire du XXème. John Ridd précède les Hobbits auquel il fait vaguement penser par son caractère chevaleresque et terre-à-terre ; il succède de peu aux héros naïfs de Dickens et aux personnages tourmentés des sœurs Brontë pour qui les liens du sang jouent, comme dans Lorna Doone, un rôle prééminent et fatal. La lecture de ce roman, en plus du plaisir qu’elle procure, est une invitation à fureter plus avant dans ce patrimoine littéraire.

Lorna Doone, Richard D. Blackmore, 1869
Trad. M.M. Fayet

2 commentaires:

  1. Tiens, j'ai deteste Lorna Doone, mais c'etait il y a tres longtemps, alors je ne me souviens plus exactement pourquoi. Trop de drame et de pleurnicheries, je crois.

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  2. Par contre j'ai adoré: la structure, la phrase courte, le rythme du récit et la compréhension de la vie et des personnages qui préfigure l'analyse des humains avec le recul du sociologue. Bref un roman d'anticipation du genre, avec une dimension mythologique dans ce contexte farfelu de guerres incessantes.

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