Affliction est un curieux titre pour raconter l’histoire d’un homme que les échecs et les frustrations font un jour basculer de l’autre côté de la raison. C’est aussi un roman assez bizarre, du fait d’un choix de point de vue inhabituel. C’est Rolfe, le frère de Wade Whitehouse (le forcené susnommé, donc) qui raconte l’histoire. Celle-ci se passe dans son village natal, au milieu de personnes dont il connaît le caractère, les expressions, les voitures et les petites amies. Mais quant à l’histoire de Wade elle-même, il ne la connaît finalement que par ouï-dire, ce qui fait que le livre renferme finalement deux récits : celui, pathétique, de Wade et de ses efforts inutiles et douloureux pour regagner l’estime et l’amour de son entourage ; et celui écrit en creux de la tentative de Rolfe pour se mettre dans la peau de son frère. Le lecteur, de ce fait, est sans arrêt tiré hors de l’histoire par l’idée qu’en fait, le narrateur ne fait que reconstituer ce qui s’est passé, ce qui rend assez étrange les longs passages détaillés consacrés, par exemple, aux inconvénients de la niveleuse pilotée par Wade.
Affliction est donc un livre assez inconfortable pour son lecteur sur lequel, en plus de la perplexité liée au procédé narratif, pèse le drame de Wade auquel se superpose la souffrance de Rolfe ; si elle n’est pas l’objet de son récit, cette souffrance transpire de son projet, car quelle autre motivation que la douleur l’aurait incité à entreprendre cette absurde et minutieuse reconstruction ? Le malheur de Wade et celui de Rolfe se répondent, le premier observé par le lecteur à travers le regard de son frère, le second deviné dans les creux d’un discours qui parle d’autre chose ; et le jeu de miroirs se poursuit quand l’image du père se superpose à celles des deux frères dont les regards croisés révèlent le malheur de cet homme brutal qui a gâché leurs vies.
Il est bien dommage qu’un livre aussi intelligent ait été desservi par une traduction paresseuse et, il faut l’avouer, par le fait qu’en réalité je n’avais pas très envie de lire encore une histoire de bouseux américains dans des contrées glaciales et désespérées. Mais j’aurais pu y penser avant…
Affliction, Russell Banks, 1989
Trad. Pierre Furlan
mardi 8 juin 2010
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