mardi 8 juin 2010

François Desouche au pays des Droits de l'Homme, ou les incertitudes du collectif

(C'est juste un vieux truc écrit il y a deux mois et déjà mis en ligne en d'autres lieux; je le recolle ici pour ne pas le perdre).

J’ai découvert récemment le blog François Desouche, qui propose une relecture de l’information orientée par la préoccupation du sort des « Gaulois » menacés d’extinction. Les commentaires des différents sujets sont fascinants de violence (et souvent, d’ailleurs, de chiennerie bien gauloise, pour le coup). Le fondement de l’appel au meurtre qui, sous différentes formes, est martelé par les lecteurs est, en général, un amalgame entre l’individu et le collectif. Le procédé est d’ailleurs ancien : les Juifs sont depuis deux mille ans un peuple déicide, comme s’ils s’y étaient tous mis, et comme si les descendants des Juifs d’il y a vingt siècles avaient tout frais sur les mains le Sang vénérable. Sont aussi régulièrement évoqués les "Nègres" qui grimpaient aux arbres quand les Européens construisaient des cathédrales, comme si cette circonstance, avérée ou non, créait des mérites spéciaux aux Européens d’aujourd’hui qui, comme le disait Figaro, se sont donnés la peine de naître.

A parcourir le blog, un certain confort moral s’érode : pour ma part, les réactions à un article sur la situation d’un Angolais sans papiers défendu par un collectif local (réactions que je laisse imaginer), m’ont particulièrement troublée. Car oui, cet homme est ici hors-la-loi ; oui, cette loi, ou une autre moins rigoureuse mais tendant à la même fin, sont nécessaires pour assurer la stabilité de l’Europe et de son niveau de vie lentement acquis et démocratiquement garanti. Mais cette nécessité est affirmée par « François Desouche » dans les termes mêmes qui défendent aussi des mesures comme la suppression rétroactive de la nationalité française aux enfants d’étrangers et, en général, la protection active de la pureté ethnique et culturelle des Gaulois ; cela finit par interroger.

Car qu’est-ce qui distingue cette loi de la prétention affichée par les descendants des bâtisseurs de cathédrales à détenir par le fait de leur naissance le monopole d’un certain héritage ? Toute nécessaire qu’elle est, qu’est-ce qui la rend légitime à exclure un Angolais ou un Malien d’une ville, d’un logement, d’un emploi, d’une école – parce que ses ancêtres n’ont pas bâti les cathédrales ?

J’entends cette légitimité au regard des valeurs libérales, de la reconnaissance des droits de l’individu, et de l’aspiration à l’universalité : au regard, autrement dit, de la Déclaration des droits de l’homme qui fait le préambule de notre Constitution, et qui n’est par essence pas réductible à une Déclaration des droits du citoyen français. Dans cette perspective, aucune loi ne devrait être votée, aucune position ne devrait être tenue qui ne soit défendable quelle que soit la position que l’on occupe – Français catholique, musulman ou athée, Angolais ou Afghan, homme, femme ou enfant, malade ou bien portant. Cette perspective du moins bien loti est, comme l’a développé John Rawls dans la Théorie de la Justice (1971), celle qui fonde une éthique non religieuse. Mais comment sur cette assise de principe peut-on appuyer la constitution d’une communauté nationale, la revendication collective d’un héritage, la volonté de perpétuer cet héritage en le fermant à d’autres hommes ?

Le problème n’est pas neuf et s’est posé dès les premières années de la Révolution. Pour autant il reste aigu pour qui cherche honnêtement à penser les problèmes de l’intégration et de « l’identité nationale ». C’est l’idée du collectif qui est en question. « François Desouche » défend l’idée d’un collectif fermé constitué par héritage et dont le principal objectif est sa propre perpétuation. Si le caractère injustifiable de la chose saute aux yeux sur ce site, il est bien moins facile à identifier dans d’autres contextes. La question des fast-food hallal en est un exemple. L’initiative récente de Quick a déclenché de vives réactions et suscité un argumentaire à charge qui mélange la défense de la laïcité et celle de la tradition gastronomique française. Au total, c’est un peu paradoxal, parce que s’il y a un domaine où l’Islam est compatible avec les droits de l’homme, c’est bien les prescriptions alimentaires – absurdes, comme toutes les prescriptions religieuses, mais a priori relativement inoffensives, sauf peut-être pour les moutons. Reste qu’en effet, la plupart des Français ne mangent pas halal aujourd’hui, et leurs parents n’y auraient même pas songé : est-ce une raison pour se révolter à l’idée de manger hallal demain, si demain c’est le souhait de la majorité ?

Le collectif-héritage de « François Desouche » n’est pas compatible avec une société individualiste et libérale. Mais quel collectif, alors ? Le seul qui tienne au regard de l’éthique des Droits de l’homme est celui du contrat : le collectif est celui que forme un ensemble d’hommes résolus à se plier aux mêmes lois, à partager leurs services publics, à se défendre mutuellement, à protéger ensemble la veuve et l’orphelin. Fermer ce collectif-contrat à ceux qui, au dehors, seraient prêts à en accepter les règles est difficile et ne se justifie guère que par l'espoir que cette fermeture ne soit pas à jamais nécessaire ; en figer les contours et en préempter l’avenir, en interdisant à ceux qui en sont déjà partie de le faire évoluer, est impossible. Nous n’avons pas de droits sur l’avenir : notre histoire catholique ne disqualifie pas un avenir musulman ou taoïste. Qu’importe d’ailleurs : si les Droits de l’homme ont pu triompher de l’Eglise, ils doivent à terme amadouer Mahomet. Il n’y a qu’eux, et ce qu’ils recouvrent, qu’il faille à tout prix préserver puisqu’eux seuls sont compatibles avec une éthique non religieuse, donc à vocation universelle ; c’est leur histoire, leur langage, leurs philosophes que l’on doit, à travers les nôtres, enseigner, puisqu'aucune loi ne les protègera éternellement si les esprits ne leur sont pas acquis.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire