lundi 14 juin 2010

La voie du Tao, un autre chemin de l’être

L’exposition « la voie du Tao » (la voie de la voie, autrement dit ?) a semble-t-il déçu les connaisseurs qui se plaignent d’une « muséographie digne d’une salle des ventes » et d’une accumulation disparate d’objets, sans considération d’époque et sans effort de commentaire. C’est sûrement vrai, mais, en tant que béotien assumé, je devais être imperméable à la déception. Je me suis certes promenée le nez en l’air à travers les salles consacrées aux origines du taoïsme, à la cosmologie, à l’alchimie et aux rituels, sans y apprendre grand-chose tant l’exposition est muette (il est vrai que je refuse de recourir aux abominables petits machins à oreilles). Mais au fil de cette déambulation on recueille tout de même quelques impressions.

D’abord, c’est le pur plaisir des yeux (quel dommage qu’on ne puisse jamais toucher !) qu’offrent les porcelaines biscuits monochromes, lisses et lourdes comme des liquides saisis dans leur écoulement, les vases en porcelaine à émaux, aux formes diaboliquement simples, les minuscules détails des paysages sculptés dans des roches composites, ou les couleurs désaltérantes des grandes peintures où des dizaines d’immortels arborent des robes chamarrées.

Mais on est frappé aussi par l’abondance extraordinaire de documents écrits ; par la richesse d’une symbolique foisonnante où cohabitent les pêches, les chauves-souris, les tigres et les dragons (bien sûr) sans parler des omniprésents trigrammes ni des constellations ; par les représentations verticales et minutieuses d’un monde à « registres » où les divinités pures d’avant la création surplombent la bureaucratie bourgeonnante des immortels ; et généralement par une tension permanente vers l’exhaustivité et l’équilibre qui ne se résout pas dans une clôture finale – l’édition périodique de « canons » semblant avoir pour fonction autant de consacrer des textes nouveaux que d’en exclure.

On s’interroge également, au fil de l’exposition, sur ce qui rapproche le taoïsme des monothéismes occidentaux ; car si au premier chef c’est une conception du monde totalement différente qui frappe le spectateur, à la réflexion l’aspiration sous-jacente aux deux formes de pensée a sans doute quelque chose d’universel puisqu’elles posent les mêmes questions : l’immortalité, le salut et la rétribution des péchés, la pureté… De la même façon que le taoïsme accepte et digère la « révélation permanente » sans se crisper férocement sur les hérésies comme l’a fait le christianisme, il englobe d’autres préoccupations universelles que les monothéismes excluent : l’influence des astres et celle des simples et des métaux, dont l’étude est si vite devenue en Occident suspecte aux autorités religieuses. Les étoiles et les herbes, qu’elles soient affaire de prêtres ou de sorciers, touchent en tous cas en Orient ou en Occident au sacré et entretiennent avec les hommes des rapports mystérieux, compréhensibles par les seuls initiés.

Si le champ du sacré est le même de part et d’autre de l’Oural, pourquoi a-t-il été traité de façon aussi différente ? Est-ce la désagrégation du pouvoir temporel, ou simplement un avènement tardif au milieu des débris de multiples paganismes, qui a laissé en Occident le champ libre à une Eglise indissolublement civilisatrice et répressive, portée à rejeter avec fureur tout un héritage païen de communion avec le monde – sources, rivières, grottes et luminaires – et à soupçonner partout, et d’abord en toute femme, des ennemis de la Vérité? En quoi la société a-t-elle structuré ces religions, et en quoi celles-ci l’ont-elle à son tour modelée pour que le virage de la Chine vers la modernité ait été si tardif (et si brutal) ? Ma foi, il faudrait être plus familier que moi de l’histoire des civilisations pour ébaucher une réponse ; avec tout ça, je ressors donc de l’exposition (et du petit fascicule Découvertes Gallimard sur le taoïsme, qui la complète utilement) certainement pas plus taoïste qu’avant, mais encore plus fascinée par ces extraordinaires constructions intellectuelles et sociales issues des bizarres grouillements de l’inconscient, comme les coraux se forment par l’aveugle et aléatoire interaction de milliers d’organismes sans volonté.

La voie du Tao, un autre chemin de l’être, au Grand Palais

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