lundi 19 juillet 2010

Carlos

A mon grand soulagement, Carlos n’est pas un film d’action : j’ai toujours les pires difficultés à comprendre les scènes de fusillade et autres poursuites dans les cages d’escaliers. Il y en a bien quelques unes dans Carlos – compte tenu du sujet, je suppose que c’était difficile à éviter – mais l’essentiel du film est constitué de scènes de dialogue dont le tempo est ralenti, d’une part par le souci permanent des protagonistes de faire preuve de la plus grande économie de mots (ce sont des terroristes, que diable ! pas des pasteurs luthériens), d’autre part par le temps incroyable qu’ils passent à allumer des cigarettes, occupation qui exige jusqu’à sa bonne fin le mutisme le plus complet.

Comme ces moments suspendus sont compensés par la relative brièveté des scènes, le rythme du film n’est pas lent, mais retenu ; on ne s’ennuie pas un instant, grâce surtout à l’excellent Edgard Ramirez, masse de chair et d’ego qui irradie de sensualité et de suffisance et fait de son Carlos une sorte d’archétype de la virilité ringarde. Tout y est : la puissance, les armes, les grosses voitures dont les apparitions sont saluées d’une musique exultante, les femmes, l’alcool et surtout les cigarettes. Celles-ci sont omniprésentes et filmées avec une sorte de concupiscence assez troublante. Olivier Assayas laisse le grésillement de l’allumette et le chuintement aérien de la première bouffée remplir le silence ; les volutes de fumée qui s’échappent de lèvres muettes semblent matérialiser la pensée qui ne sera pas dite et avec elle la distance infranchissable qui déclenche le désir. Carlos prétend au début du film que les armes sont le prolongement de son corps ; en réalité, cela s’applique davantage aux cigarettes et autres havane qui contribuent à amplifier encore sa présence physique pourtant déjà encombrante. Non seulement Carlos a une petite tendance à l’embonpoint qui ne s’arrangera pas au fil des années, mais de surcroît il est filmé de façon à magnifier son corps, par exemple dans la scène où il déambule nu dans une chambre, ou lorsqu’il abat les policiers français et s’enfuit avec pour seul fond sonore le bruit de forge de sa respiration. Même la langue maternelle de Carlos, l’espagnol qu’il parle régulièrement dans la première moitié du film, possède un caractère étonnamment physique : impossible d’oublier un instant que ces sons tour à tour sifflants, mouillés et gutturaux sont produits par un larynx, une langue, des dents, une chair enfin.

Taillé pour l’environnement instable et violent dans lequel il s’ébat, Carlos se trouve à la fin de la guerre froide dans la situation de l’ours blanc sur sa banquise en plein réchauffement climatique. Il reste bien un ennemi capitaliste et impérialiste à combattre, mais il apparaît qu’il a déjà gagné, et qu’il n’y a plus grand monde pour fournir aux combattants des armes et des limousines. Le temps des grands fauves en béret Guevara est passé, et la déchéance de Carlos qui se raccroche désespérément à son propre personnage est touchante malgré l’antipathie qu’il suscite. Pour ce personnage singulier comme pour ce drame intime et universel, Carlos vaut (d'après moi) la peine d'être vu.

Carlos, Olivier Assayas, 2010

1 commentaire:

  1. Ton commentaire donne envie d'aller voir par dessus la haire, à l'occasion d'une paire d'heures oisives ce qu'il en est,...

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