vendredi 2 juillet 2010

Histoire du négationnisme en France

L’Histoire du négationnisme en France écrite, d’après sa thèse sur le même sujet, par Valérie Igounet peut se lire à deux niveaux. Travail historique, elle recense un certain nombre de figures du négationnisme français et reconstitue leur itinéraire intellectuel ; production soumise à l’influence des convictions de son auteur, elle illustre par ses défauts même la complexité de la question du négationnisme.

Paul Rassinier, ancien déporté, de sensibilité anarchiste ; Maurice Bardèche, beau-frère et admirateur de Brasillach ; Pierre Guillaume, militant marxiste ; Robert Faurisson, professeur de lettres, sans opinion politique professée ; Henri Roques, ingénieur et proche du Front National… le pedigree des négationnistes français suffit à faire apparaître deux paradoxes : le négationnisme n’est pas une affaire d’historiens, et il réunit des sensibilités politiques situées aux deux extrémités du spectre - si l’on veut bien considérer l’extrême gauche et l’extrême droite comme radicalement opposées et non (ou parce que ?) essentiellement parentes.

De fait, et Valérie Igounet le montre sans malheureusement s’y attarder beaucoup, le négationnisme n’est pas une démarche historique à proprement parler : plutôt que de construire une hypothèse qui intègre le mieux possible l’ensemble des données dont nous disposons (archives, installations plus ou moins bien conservées, témoignages, etc), les négationnistes, Faurisson en tête, s’attachent à détruire méthodiquement l’hypothèse d’un massacre organisé de plusieurs millions de personnes parce qu’elles étaient juives. Ce faisant, ils ne proposent pas d’autre hypothèse qui permette de tracer un tableau général des persécutions à l’endroit des Juifs, mais se bornent à démonter un par un les arguments mis en avant jusque là. La tâche leur est facilitée par une tendance des témoins à dramatiser et à surévaluer le nombre des victimes, par une systématisation souvent abusive dans la présentation des éléments historiques dont on dispose, et par de graves insuffisances dans l’approche technique de l’extermination des Juifs – dont, s’agissant d’un processus industriel, on avait pourtant beaucoup à apprendre par cette entrée. Ainsi, la vulgate fait un lien entre fours crématoires et extermination, alors que la présence d’un four crématoire ne témoigne pas à elle seule d’intentions criminelles. Elle confond chambres à gaz expérimentales (comme au Struthof ou à Dachau) et chambres à gaz industrielles, comme à Auschwitz. En pointant du doigt successivement ces erreurs, les négationnistes ont eu beau jeu de conclure à l’existence d’un « mythe » des chambres à gaz homicides.

Ce mythe est dénoncé avec des intentions politiques ; le livre de Valérie Igounet retrace bien les motivations qui animent les négationnistes. A gauche, après les premiers jalons posés par Paul Rassinier pour attaquer la réécriture communiste de l’histoire des camps, il s’agit de supprimer un obstacle interposé entre les masses et la claire compréhension de leur condition ; le camp d’extermination fournit opportunément au Capital un repoussoir qui convainc les classes laborieuses de la douceur relative de leur sort. Mais, alors que la réalité concentrationnaire représente l’aboutissement du système capitaliste, l’extermination est une absurdité en termes économiques, ce qui prouve son statut d’alibi (je résume). A droite, et notamment chez le Jean-Marie Le Pen des « dérapages » à la Durafour-crématoire, la négation de la Shoah relève davantage d’une tentative de relégitimation des valeurs portées par l’Allemagne nazie, dans une perspective de reconstitution d’un front européen contre les menaces qui pèsent sur notre civilisation. Cela donne d’ailleurs un discours assez confus, puisque l’argumentation tend à montrer que les Nazis avaient raison de « régler le problème juif », et qu’en plus, ils n’ont même pas essayé de le régler. Les deux raisonnements se rejoignent dans l’expression de leur anti-sionisme, puisque le sionisme prospère d’après eux sur le mensonge. Cet anti-sionisme recouvre un antisémitisme primaire (c’est-à-dire antérieur au raisonnement négationniste) à droite, secondaire (conséquence de ce raisonnement) à gauche.

Dans un cas comme dans l’autre, et indépendamment de la valeur historique des raisonnements proposés, on se trouve face à des systèmes auto-justificateurs : l’hypothèse d’un complot juif ayant provoqué la seconde guerre mondiale et l’internement des Juifs, internement transformé par la propagande juive en extermination et convertie en espèces sonnantes et trébuchantes pour le financement du projet sioniste, est combattue par des historiens forcément juifs, soutenus par des politiques juifs qui l’élèvent au rang de religion et rétablissent pour la soutenir le délit de blasphème. Si elle est combattue, c’est parce qu’elle dessert les Juifs, et ainsi de suite : le raisonnement tourne en rond.

La difficulté qu’il y a à traiter cette question d’une façon qui préserve tant la vérité historique que la « mémoire », c'est-à-dire les enseignements politiques et moraux qu’on a voulu tirer de cette vérité, apparaît dans l’attitude crispée et malhabile des « exterminationnistes » : la loi Gayssot sur la négation du génocide, les prises de position moralisatrices d’historiens parfois mal informés nourrissent l’argumentaire des négationnistes qui se posent maintenant en martyres de la liberté de pensée. Valérie Igounet elle-même tombe régulièrement dans le même travers, en écrivant par exemple « le SS Untel » pour présenter et discréditer du même coup la position du sieur Untel : un raccourci parfois faux et toujours malhonnête, souvent utilisé par les antisémites et autres complotistes (« le Juif intégriste Machin… »).

Peut-on être « exterminationniste » sans être prisonnier d’une bien-pensance autoritaire à la Gayssot ? Un fascinant exemple de réponse à ce dilemme est donné dans le livre au travers de l’itinéraire de Jean-Claude Pressac, pharmacien de son état, devenu spécialiste des techniques d’extermination par le gaz employées par les Nazis après avoir entamé des recherches négationnistes sous la houlette de Faurisson. L’entretien avec ce curieux personnage, retranscrit en annexe, est un des passages les plus stimulants du livre. Pressac, manifestement assez ancré à droite et très hostile à l’instrumentalisation politique de l’histoire, est extrêmement critique tant avec les négationnistes qu’avec les historiens de l’extermination, dont il déplore le très faible niveau de compréhension technique. Il fait état de données techniques permettant de préciser la connaissance du génocide et en particulier d’en ajuster les chiffres, et son discours montre tout l’intérêt et toutes les richesses de ces études apparemment périphériques sur la capacité des fours, sur le temps de crémation, sur la nature et la quantité des fumées émises, etc. Tout en revoyant les chiffres à la baisse, et en raillant les historiens officiels, il confirme l’intention criminelle qui a suscité cette mortalité, et se met ainsi les négationnistes à dos. Au total, ce discours à la fois antipathique et très satisfaisant intellectuellement paraît, au moins, honnête, et il a contribué à enrichir l’historiographie de la période ; quelle a été son influence sur la mémoire ? Mystère.

On referme l’Histoire du négationnisme en France en proie au trouble ; non pas sur l’histoire, certes – encore qu’on se sente vaguement coupable de ses propres certitudes « exterminationnistes » – mais bien sur la mémoire. Si l’on ne peut compter que les leçons de l’histoire se déchiffrent aisément et s’imposent d’elles-mêmes, a-t-on le droit pour autant de corseter la mémoire ? Et pour quel enjeu ? Contre quoi la mémoire d’Auschwitz, à laquelle tout le monde, exterminationnistes comme révisionnistes, reconnaît la fonction de mythe (au sens de « légende fondatrice » et non de « mensonge ») pour les sociétés d’Europe, nous protège-t-elle ? Et finalement, l’ancrage de ce mythe dans la réalité est-il si important, dès lors qu’il a imprégné les consciences et la vie publique à travers une importante production littéraire et cinématographique ?

Histoire du négationnisme en France, Valérie Igounet, 2000

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