Ce qui attire dans l’exposition de Wang Keping, c’est son titre, proposé par l’artiste lui-même : comment résister au rapprochement de ces deux mots gonflés des battements symétriques et mystérieux du sang et de la sève? on espère quelque chose d’évident et d’incompréhensible, une impénétrable ouverture, une sorte de sauvagerie paisible. Et ma foi, c’est bien ce que l’on découvre.
La chair des forêts, c'est tout littéralement des morceaux d’arbres – l’élan du tronc est encore si présent dans les sculptures exposées qu’on hésite à parler prosaïquement de morceaux de bois. De ces souches et de ces troncs disgraciés, trop noueux ou trop tordus pour la scierie, Wang Keping fait émerger des formes si expressives que l’on devine souvent le nom qu’il leur a donné avant de l’avoir lu. Avec une extraordinaire économie de moyens, il fait parler les corps qu’il tire ainsi de l’ombre; ils n’ont ni yeux ni bouche, mais l’inflexion de leur nuque ou la courbe de leur dos dit la tendresse, l’hostilité, la tristesse ou simplement la conscience et le plaisir d’exister.
L’œuvre de Wang Keping ne se réfère à aucune tradition, à aucun courant, à aucune civilisation; «femme», «compagnons» ou «mélancolie», les titres de quelques unes de ses œuvres, ne renvoient à rien d’autre qu’à l’expérience nue, celle que tous partagent, des émotions et des rapports entre les hommes. Même «Adam et Eve» ou «Yin et Yang», références a priori culturelles, n’apparaissent, associés à ces sculptures si parlantes, que comme des résumés commodes pour des réalités universelles: le couple charnel naissant de l’hermaphrodite originel, le couple social assignant à l’homme et à la femme une place et un rôle immuables qu’ils assument avec une comique maussaderie.
Wang Keping a taillé le bois, l’a brûlé, poli et laqué jusqu’à lui donner la douceur d’une peau et les courbes d’un corps. Les veines et les fentes rendent à la matière l’imperfection de la vie. Et on peut, sans avoir à enjamber des cordons ou à surveiller du coin de l’œil les habituels cerbères des musées, caresser à pleine main cette chair tiède et sombre qui épouse la paume. On ressort heureux, et prêt à regarder d’un autre œil les arbres et les hommes.
La chair des forêts, Wang Keping, Musée Zadkine, 2010
samedi 31 juillet 2010
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j'ai plutôt l'habitude de traverser les expositions à grandes enjambées à la recherche éperdue d'une sensation, d'un signe, d'un clin d'œil humoristique ou astucieux en résonance à l'humeur du moment. Je ne me suis donc pas arrêté un instant sur l'enchevêtrement de Zadkine.
RépondreSupprimerPar contre quel bonheur avec ces sculptures de Wang Keping, toutes en mouvement et rondeur, d'une plasticité charnelle proche des jubilations plastiques et sexuées des années 60 70. Heureux de cette rencontre qui me nourrira encore longtemps par cette essence, ces veines, ces courbures et surtout ces fentes dans lesquelles se partagent et s'échangent les corps humains.