La maison de poupée est tiré de la pièce d’Henrik Ibsen, montée en 1879. Nora est jeune, belle et écervelée quand elle épouse Torvald Helmer. Pour qu’il fasse en Italie le séjour d’un an que sa santé exige, elle emprunte de l’argent à Nils Krogstad à l’insu de son mari, en garantissant sa dette par une fausse signature. Huit ans plus tard, à la veille de Noël, elle est toujours aussi belle et apparemment aussi écervelée quand la vérité éclate : Krogstadt, congédié par son mari, veut utiliser le faux pour les faire chanter. La menace qui pèse sur la plus grande partie du film n’est pas tant le scandale qui frapperait la famille Helmer que la réaction de Torvald s'il découvre la vérité. Sous cette épée de Damoclès, Nora s’agite de plus en plus follement pour parer le coup et le détourner ; mais après le réveillon, alors que Torvald, ivre et inhabituellement peu gracieux, mais providentiellement distrait, oublie de lire la lettre de dénonciation de Krogstad, c’est Nora elle-même qui la lui rappelle.
C’est alors qu’elle comprend combien elle s’est trompée; Torvald, rendu fou de rage par cette atteinte à son honneur (et non par l’humiliation de devoir la vie à Nora, ou par la douleur d’avoir été trompé) décide de séquestrer Nora et de lui enlever ses enfants. Une heure après, lorsque Krogstadt, miraculeusement radouci, lui renvoie la preuve du faux commis par Nora, il se rassérène et passe l’éponge. Mais durant ces vingt-quatre heures torturantes Nora a appris à voir son mariage sous un nouveau jour. Elle a été traitée en enfant par son mari qui la couvre de petits noms, la tance quand elle s’embrouille dans une tarentelle, garde sur lui la clé de la boîte aux lettres et lui interdit les macarons. Face au danger, c’est son honneur, et non son amour, qu’il a voulu sauver (autrement dit, en termes plus contemporains, il n’a pensé qu’à lui). Alors, malgré les objurgations de Torvald qui la rappelle à ses devoirs sacrés d’épouse et de mère, Nora le quitte, pour remplir son vocation d’adulte.
Au couple idéal, du point de vue social, que forment Nora et Torvald, s’oppose le couple improbable de Kristin et Nils Krogstad ; elle est veuve et travaille pour vivre, lui est le père sans emploi et quasi maternel de deux orphelins. Non seulement ils n’entrent pas dans les archétypes sociaux de l’époux et de l’épouse, mais chacun d’eux a vu le pire de l’autre et l’a accepté ; dépouillée de ses oripeaux conventionnels, la relation qui les unit commence là où celle de Nora et Torvald s’arrête. Cet effet de miroir renforce le thème majeur, celui d’un mariage décrit comme une convention emprisonnant les femmes dans un rôle subalterne sans même leur assurer en retour un amour inconditionnel.
Cette construction ostensiblement symétrique, la parfaite convergence des intrigues (la décision de Nora, l’annonce de la mort du Dr Rank et la rédemption de Krogstadt surviennent la nuit de Noël) et leur resserrement dans le temps sont des caractéristiques hérités de la pièce de théâtre. Comme au théâtre, on perçoit dans le film l’enchaînement des faits comme stylisé, sans que cela nuise le moins du monde à la crédibilité des personnages. Le mode de narration reste d’ailleurs très proche du découpage théâtral, représentant l’action en une succession de scènes à deux ou trois personnages et amenant par les dialogues, plutôt que par les gestes ou les expressions, toutes les articulations de l’action. La vie est insufflée dans ces conventions théâtrales par le personnage de Nora, incarnée par la merveilleuse Jane Fonda, qui s’attache immédiatement le spectateur. Celui-ci ressent péniblement la tension qui pèse sur elle, notamment dans la scène de la tarentelle, que la jeune femme danse lors du réveillon alors que la lettre de Krogstad attend son heure dans la boîte aux lettres et qui symbolise le ballet désespéré auquel elle s’est livrée jusqu’alors, sans cesser de sourire, pour cacher la vérité à son mari.
J’ignore si le film de Losey rend justice à la pièce d’Ibsen, que je n’ai pas encore lue ; je soupçonne que oui, tant sur la forme la filiation avec le théâtre est nette, et tant sur le fond le message est clair. Si cet écho est fidèle, peut-être est parce que la nature du mariage a moins changé en un siècle que la longueur des jupes ?
La Maison de poupée, Joseph Losey, 1973
dimanche 11 juillet 2010
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