samedi 10 juillet 2010

les Rencontres de la Modernisation de l'Etat 2010

J’ai passé trois jours cette semaine aux Rencontres de la Modernisation de l’Etat : il s’agit d’une sorte de séminaire géant organisé par le magazine Acteurs Publics (qui est un peu le Point de Vue de l’administration). C’est l’occasion pour les fonctionnaires qui font le déplacement d’entendre diverses huiles, dont des ministres en exercice, s’exprimer sur les sujets d’actualité. Ces interventions très courues sont entrelardées de tables rondes confrontant deux ou trois personnalités sur des sujets comme « collectivités, le mille feuilles administratif » ou « RGPP, tout ça pour ça ? ». Le reste du programme est composé de conférences animées par des cabinets de conseil (dans un but qui n’est pas uniquement caritatif, on s’en doute) avec le secours d’un « témoin du secteur public » qui raconte comment il a fait évoluer sa gestion des ressources humaines ou externalisé sa fonction achats.

Sur la forme, il est assez comique d’observer un clivage marqué entre des orateurs confits en dévotion, ravis de chaque avancée de la Réforme de l’Etat et convaincus de son bien-fondé, et des intervenants tellement acides qu’on a envie de leur tendre un Maalox. François Baroin avec son visage poupin et sa voix ronronnante est sans doute le champion des chattemites, mais François-Daniel Migeon, le pimpant directeur de la Modernisation de l’Etat, vaut également le détour quand il invite chacun à « saisir les espaces d’initiative qui se présentent à lui pour que le leadership diffuse dans l’administration ». A l’inverse, Alain Vallet, président de l’association des Régions de France, Pierre Moscovici ou Jean Arthuis manqueront manifestement de joie de vivre jusqu’en 2012 (au moins ; on ne voit pas bien, à vrai dire, ce qui pourrait rendre le sourire à Jean Arthuis). Heureusement, certains orateurs parviennent à prendre du champ, comme Michel Rocard et Jean-Pierre Raffarin, tous deux vaguement goguenards, ou, plus étonnant, comme Eric Woerth qui, non contenter d’afficher une excellente maîtrise de ses dossiers, parvient à pratiquer l’auto-dérision malgré le contexte délicat créé par l’affaire Bettencourt.

Sur le fond, les rencontres permettent aux fonctionnaires de profiter de l’expérience de leurs pairs dans la conduite des actions de modernisation, mais aussi de renouer le lien entre la décision politique, sa traduction en droit et son application par l’administration. Les étapes de ce processus complexe et, il faut bien le dire, assez peu lisible pour les non-initiés méritent bien par moments quelques coups de projecteur.

Eclairage sur les méthodes de réforme d’abord : on entend ainsi Jean-Pierre Raffarin aussi bien que François Baroin évoquer les éléments de légitimité d’une réforme, et souligner en particulier l’importance de la plate-forme de candidature présidentielle pour asseoir une évolution annoncée. Et les législatives, alors ? on n’en dit mot… Il est également intéressant de voir Hervé Morin tout comme Michel Rocard insister sur le consensus à créer sur le diagnostic préalable à toute réforme, et préconiser de fait une concertation en amont faisant appel à la responsabilité des différentes parties prenantes. Du bon sens, sans doute, et pourtant…

Eclairage sur l’esprit des institutions ensuite : il est troublant d’entendre Jean-Pierre Raffarin, à nouveau, et Alain Vallet, tous deux décentralisateurs acharnés, exprimer des inquiétudes diamétralement opposées sur la réforme des collectivités territoriales pour finir tous deux, d’ailleurs, par voter contre. Le premier juge cohérent le principe du conseiller territorial et déplore que cette mesure soit noyée dans un flot d’évolutions opportunistes destinées à satisfaire toutes les chapelles ; le second voue le conseiller territorial aux gémonies et agite la menace d’une politisation excessive des élections locales et d’une disparition des marges de manœuvre régionales. Sur le fond, c’est sans doute le difficile sujet de la répartition des compétences qui divise, sans parler du casse-tête du financement. Autre point, la généralité de la loi est un sujet abordé tant par Eric Woerth que par Alain Vallet : pour le premier, qui pense à l’échelle de l’Etat, dès lors que la politique vise l’équité et non seulement l’égalité, elle crée des cas particuliers et élargit de ce fait les responsabilités de l’exécutif par rapport au législatif: le ministre y voit un argument contre le principe de consultations répétées tel qu’il est mis en œuvre par exemple en Suisse. Le second, homme de sa région, fait écho en estimant que, la cohésion de la nation n’étant plus en cause, la loi générale devrait fournir l’encadrement – et seulement l’encadrement – de politiques locales de plus en plus adaptées et diversifiées. Bref, avec tout ça, exit la généralité de la loi : et on dit encore que la France est jacobine !

Eclairage enfin sur l’avenir, avec le problème de la dette, fréquemment évoqué : tout le monde est d’accord, la réforme de l’Etat ne règlera pas le problème que, par ailleurs, il n’est pas question de laisser traîner ; quant à savoir ce qui le règlera, c’est moins clair. Le développement durable est une autre perspective consensuelle quoiqu’un peu fumeuse.

Sur certains thèmes en revanche, les ministres ne semblent pas en accord avec leur public. Ainsi les évolutions récentes de la fiscalité (le bouclier fiscal, la TVA restauration, l’exonération des heures supplémentaires, les niches…) sont poliment contestées par la salle et défendues notamment par François Baroin pour qui il est nécessaire de prendre le temps d’évaluer ces mesures. Autre point, la qualité du dialogue social consterne majoritairement les hauts fonctionnaires alors que les auteurs de réformes réussies expriment leur confiance dans les partenaires sociaux (leur réussite expliquant peut-être leur confiance… à moins que ce ne soit l’inverse !).

Et la réforme de l’Etat, finalement ? On n’en a pas tant entendu parler que cela, si l’on entend par là la réforme de l’administration française. Alors, « tout ça pour ça » ? non, sûrement pas. La loi organique sur la loi de finances, la réforme de l’administration territoriale, l’autonomie des universités, le e-service public sont en vérité de petits tremblements de terre dont au fond nul ne conteste l’intérêt et qui ébranlent les structures même de l’administration : corps d’Etat, modes de rémunération, rapport à l’usager, culture de gestion… D’où l’inconfort compréhensible exprimé par de nombreux fonctionnaires, d’où les difficultés parfois à maintenir ici ou là la qualité du service. Si le ton un peu empesé des ministres peut irriter, si la question de la dette reste de toute évidence non traitée, si les méthodes sont contestables, reste qu’il se passe réellement quelque chose : pour le meilleur ou pour le pire, il fallait bien, sans doute, en passer par là.

1 commentaire:

  1. Mon dieu quelle calamité, tu nous donne l'impression qu'une fosse abyssale sépare la vie de la rue (de fait celle des espaces internet) de la rigidité des mécanismes de fonctionnement, raisonnement, relationnels des ces super (?) structures. Un peu comme la distance entre la littérature enseignée et la langue française pratiquée par la génération subissante! ou encore entre la loi écrite et celle des quartiers! ou encore,... qui déraille dans cette société à multi pignons? (chiffon rouge pour le jeu d'esprit en cette période de maillot jaune!)

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