Les sorcières d’Eastwick sont trois femmes entre deux âges vivant dans une petite ville de l’Est des Etats-Unis. Leurs maternités et leur divorce ont réveillé en elles des dispositions à une sorcellerie artisanale et illogique qu’elles pratiquent à l’inspiration, usant de formules magiques dénichées on ne sait trop où et mobilisant un pouvoir qui semble prendre racine dans leur corps plutôt que dans leur esprit. L’arrivée à Eastwick de Darryl Van Horne, inventeur et amateur d’art, personnage étrange, haut en couleurs et peu farouche, ébranle le triangle des sorcières et l’entraîne jusqu’au meurtre.
Sur la quatrième de couverture de mon exemplaire, ce roman est présenté comme « le plus sulfureux » de John Updike, ce qui me laisse rêveuse. Car Updike inscrit son histoire de sorcellerie dans une atmosphère domestique de gynécée, avec une totale absence de dramatisation. Darryl Van Horne a beau incarner le Diable, il s’habille n’importe comment et ses projets ont tendance à capoter misérablement ; quant aux sorcières et à Alexandra en particulier, qui est le prisme favori de l’auteur, elles sont « hystériques » au premier sens du terme, soumises aux exigences et aux rythmes de leur corps, sensibles aux saisons, aux lumières et aux flux. La magie intervient dans le fil du récit sans aucune explication ni justification, sans caractère d’extraordinaire. Alexandra a réduit son mari en poussière : ça peut être une façon de parler. Elle convoque un orage : c’est peut-être un fantasme. Mais quand au tennis les balles se changent en crapauds et que l’adversaire proteste, on entre de plain-pied et sans drame dans une magie que l’on a d’autre choix que d’accepter. Ce n’est pas du tout ce que j’attendrais d’un livre « sulfureux ».
Ce climat paradoxal de normalité rejaillit sur les sorcières des temps plus reculés, convoquées devant le lecteur au travers de quelques allusions assez discrètes. Femmes intelligentes ou sottes, douces ou acides, dans lesquelles se concentrent des forces telluriques qu’elles catalysent sans grand discernement, elles prétendent d’une certaine façon, derrière l’histoire de Jane, Sukie et Alexandra, à l’affection du lecteur et à la compassion pour le destin que leur réservaient des jours plus cruels.
Les sorcières d’Eastwick m’est apparu beaucoup moins sulfureux que chargé d’une irrationalité en quelque sorte organique, appelant avec insistance le lecteur à absorber le texte au premier degré. En noyant le temps qui passe dans le retour des saisons, en diluant le drame et la mort dans l’histoire de vies qui se poursuivent, se séparent et se reforment – Alexandra, Jane et Sukie se remarient et disparaissent d’Eastwick qui continue sans elles sa vie provinciale – John Updike nous offre un malaise si léger, si dilué dans le bruissement de la féminité, le pépiement des potins, le clapotis des confitures qui chauffent et la molle invasion de la crasse domestique, que l’on en oublierait presque qu’on vient de lire l’histoire d’un sacrifice humain. Peut-être est-ce là d’ailleurs tout le soufre, ou tout le sel, de l’affaire.
Les sorcières d’Eastwick, John Updike, 1984
Traduction Maurice Rambaud
mardi 6 juillet 2010
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