Cinq hommes, dont deux portent le même nom et un en porte deux, aiment quatre femmes. Deux sont juifs et ont survécu au génocide, l’un a participé au projet Manhattan (la bombe, vous savez ?), deux ont été SS, et sur les cinq il en reste encore deux qui n’ont rien fait de tout cela. Si à ce stade le livre de Paul Verhaeghen commence à ressembler pour vous à une sorte de roman policier un peu tiré par les cheveux, sachez que vous n’avez pas tort.
Berlin est le lieu principal de ce roman dont les 730 pages promènent le lecteur à travers soixante années et de la Californie à la Haute-Silésie. L’histoire se déroule en 1995, mais elle n’est que la résultante d’histoires bien plus anciennes qui font resurgir au fil des pages le Berlin de l’incendie du Reichstag, celui des années de guerre puis de « l’heure zéro » où il a fallu tout reconstruire, et enfin celui où le Mur est sorti de terre en une nuit. A travers cette ville témoin et foyer des violences qui ont ravagé le siècle, Paul Verhaegen explore la mémoire douloureuse de protagonistes qui ne cessent, consciemment ou non, de poser la même question : comment peut-on vivre après, quand il n’y a pas de réparation possible pour les victimes, pas d’expiation possible pour les coupables, et que d’ailleurs les deux finissent par se confondre ?
A cette question le personnage de Goldfarb, le physicien qui a travaillé sur la bombe atomique, va apporter une réponse radicale : on ne peut pas. Goldfarb est le personnage charnière, celui qui fait le lien entre les deux pôles du livre : la ville de Berlin, raccourci de l’histoire européenne, d’une part, et d’autre part, la bombe. La bombe est le crime qui ne pèse pas sur les vies des personnages, tout occupés à ronger l’os de l’holocauste qui leur garantit déjà des tourments psychologiques de première qualité. Au problème posé par cet autre crime majeur Goldfarb va rappeler tous les personnages, et toute l’impudente ville de Berlin, qui a osé continuer à vivre.
Les questions que soulève Paul Verhaegen m’intéressent, mais son livre ne m’a pas plu. D’abord, l’intrigue est vraiment très tortueuse, et les choix narratifs consistant par exemple à changer fréquemment de point de vue, à sauter d'un récit à l'autre et à ne pas annoncer de quel personnage on parle n’arrangent rien. C’est un peu facile de désorienter le lecteur exprès ; ça n’apporte pas forcément grand-chose. D’autre part, les personnages manquent singulièrement d’épaisseur, ce qui est tout de même agaçant dans un livre aussi long. De fait, l’auteur consacre nettement plus de temps aux pratiques sexuelles des protagonistes qu’à leur personne ; or il se trouve que finalement, on en sait assez peu sur un homme une fois qu’on a appris qu’il aimait les fellations (y en a-t-il qui n’aiment pas, au fait ?). On comprend bien que ces épanchements sur la question représentent une sorte de pendant à la violence et à la folie qui assaillent les personnages – un exutoire, ou un déclencheur, selon les cas ; mais ça ne les rend pas beaucoup plus intéressants.
Oméga mineur, Paul Verhaeghen
Trad. Claro
mercredi 14 juillet 2010
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Ca paraissait interessant jusqu'aux pratiques sexuelles. Les partiques sexuelles des protagonistes, moi, je m'en bats l'oeil.
RépondreSupprimerLe thème du crime abominable qui resurgit dans cette ville bâtie sur des ruines et du sable, m'a assez secoué, je l'ai même préféré à Littell. Quant aux pratiques sexuelles j'ai plutôt tendance à me rincer l'oeil, même si je m'en lasse à force.
RépondreSupprimerLittell, oui, bien sûr! on y pense souvent en lisant Oméga Mineur et les points communs ne manquent pas - à commencer par le plus évident, l'arrière plan offert par le génocide; mais aussi l'espèce de fragmentation de l'identité que l'histoire inflige aux personnages (comme Jozef De Heer, le Dr Aue finit par ne plus savoir au juste qui il est).
RépondreSupprimerCela dit, pour ma part, j'ai trouvé les Bienveillantes bien supérieur à Oméga Mineur: plus crédible, malgré la timbritude avancée du personnage sur la fin; beaucoup plus fouillé psychologiquement et historiquement; et nettement mieux écrit. Et aussi, en fait, plus gonflé: suivre le Dr Aue dans sa décomposition progressive doit être pour l'écrivain un voyage redoutable.
Enfin il est sûr qu'on ne peut pas dénier à Oméga Mineur une intrigue originale et un dénouement qui secoue, pour le moins!