lundi 23 août 2010

L'élu

L’élu est l’histoire de l’adolescence d’un garçon exceptionnellement brillant, fils aîné du chef spirituel d’une communauté de hassidim, dans l’Amérique de l’immédiat après-guerre. Témoin de cette adolescence, Reuven Malter, le narrateur, est lui aussi un garçon très intelligent, intellectuellement curieux et profondément respectueux des traditions, des usages et des textes de la religion juive. Les deux garçons deviennent amis après un match de base-ball particulièrement disputé au cours duquel Danny blesse Reuven à un œil ; tout le premier tiers du livre est consacré à ce match et au séjour de Reuven à l’hôpital, qui coïncide avec le Débarquement en Europe.

Le deuxième tiers couvre une année, pendant laquelle l’amitié de Reuven et Danny s’approfondit alors que s’achève la guerre et que se dévoile le massacre des Juifs d’Europe. Les deux garçons entretiennent avec leur père une relation très forte, alors que les mères sont inexistantes (celle de Reuven est d’ailleurs morte). Reb Saunders, qui élève son fils sans lui adresser la parole, est une énigme pour Reuven, très proche de son propre père. Au cours de ce second livre, Reuven découvre la trappe dans laquelle se débat Danny, qui ne veut pas du statut de tzaddik (chef spirituel) qu’il héritera de son père, et qui redoute de le décevoir.

Le troisième livre se déroule sur deux ans. Alors que les deux jeunes gens fréquentent l’université, ils sont contraints d’interrompre toute relation car le père de Danny a pris farouchement parti contre le sionisme, dont le père de Reuven est l’ardent avocat. Lorsque le conflit s’éteint peu à peu, alors que la reconnaissance d’Israël devient un fait établi, Danny et Reuven se rapprochent et c’est finalement à Reuven, devant Danny muet, que Reb Saunders expliquera pourquoi il a choisi de garder le silence avec son fils, et pourquoi il lui rend sa liberté et accepte que Danny devienne psychanalyste. Reuven, lui, sera rabbin.

L’élu est un livre émouvant et adroitement construit, qui entrelace autour de ses quatre personnages les thèmes de la construction de l’identité : la digestion d’une culture millénaire et l’ouverture vers des sujets neufs ; l’irruption de l’histoire vécue qui force les jeunes gens et leurs pères à s’interroger sur ce qu’ils doivent à leur peuple ; le père, guide, exemple et obstacle. Par la voix du jeune Reuven Malter, futur rabbin passionné de logique symbolique et en paix avec son avenir, par l’image de Danny Saunders, torturé par son attachement à des traditions intellectuelles qui lui donnent le goût et lui ferment la voie d’une modernité à laquelle il aspire désespérément, Chaïm Potok donne des Juifs américains de l’après-guerre l’image fascinante de gens possédés d’un infini respect du savoir et d’une conscience aigüe d’un destin collectif à prolonger.

Je me demande, tout de même, si tous les écrivains juifs américains sont à ce point obsédés par les relations père-fils ? Philip Roth, le seul que j’ai pratiqué, m’avait semblé obnubilé par ce sujet : apparemment, ils sont au moins deux.

L’élu, Chaïm Potok, 1967
Traduction Jean Bloch-Michel

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