dimanche 15 août 2010

Léon Blum

Je trouve à la biographie un caractère à la fois fascinant et vaguement frustrant. Fascinant parce que la biographie est un projet impossible : le biographe est voué à s’essouffler à la poursuite de la vérité d’un homme, vérité dont on devine bien, à s’écouter soi-même, qu’elle n’existe pas. Fascinant aussi parce que de ce cheminement cahotant et laborieux à travers les années d’une vie émerge toujours, malgré tout, une familiarité presque tendre, qu’il s’agisse de Clemenceau, de Mitterrand, de Blum ou d’Hitler. Un homme après tout nous est toujours un prochain ; ses déceptions et ses échecs, puisque c’est surtout de cela qu’au fond sont faites les biographies, ne manquent jamais d’émouvoir.

En revanche, ce qui est désolant avec les biographies, c’est qu’on n’en retient jamais grand-chose : quelques grandes dates, un sentiment général, deux ou trois faits qu’on connaissait déjà et qu’on avait oubliés. Une biographie peut difficilement s’organiser comme un essai autour d’une thèse qu’on digère avec appétit pour peu qu’elle soit agréablement présentée ; ce genre défie la compréhension et ne s’adresse guère qu’à la mémoire ou, encore une fois, aux sentiments.

Avec ça, Jean Lacouture, auquel il faut reconnaître une admirable opiniâtreté biographique, a des manies de style assez agaçantes : la terreur de la répétition (y compris celle des noms propres) qui le conduit à abuser de périphrases obscures comme « l’homme du 6 février » ou « les conjurés de novembre » (je les invente, mais vous en trouverez d’autres exemples) ; une emphase sentimentale vaguement précieuse (« de l’hémicycle, on vit s’écarter à jamais cette silhouette inclinée, fragile, […] qui était peut-être celle de la République »).

Et cependant j’ai pris grand plaisir à la compagnie de Léon Blum, avec son côté premier de la classe, son marxisme décoratif et l’humanité qui le portait naturellement vers ses semblables, pris en masse à travers ses idées politiques, mais aussi pris individuellement, dans l’amabilité scrupuleuse qu’il témoignait à chacun. De l’affaire Dreyfus à la mort de Jaurès, du congrès de Tours au Front Populaire, de la « non-immixtion » espagnole au procès de Vichy, Léon Blum vu par Lacouture montre aussi un côté obstinément bon joueur, une incapacité à tricher et à justifier les moyens par les fins, qui est toute à son honneur même si elle a sans doute été parfois contre-productive. Son dernier article, sur la nécessaire coopération des patrons et des ouvriers pour la modernisation des structures industrielles françaises, écrit quelques jours avant sa mort, se terminait par ces mots : « je le crois parce que je l’espère ». Pour un homme qui a été pendant des années « le plus insulté de France », qui a été molesté, emprisonné, à qui on a prêté toutes les ruses et toutes les sournoiseries notamment parce qu’il était juif, c’est une émouvante conclusion.

Léon Blum, Jean Lacouture, 1977

1 commentaire:

  1. Pour qui ne l'a pas lu tu nous donnes envie de découvrir ce personnage passé malencontreusement dans les oubliettes de nos mémoires.
    Une question: tu nous parles de cette biographie comme *du roman de la vie de*; n'y a t-il pas chez Lacouture la tentation d'une analyse/méthodologie d'historien?

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