jeudi 30 septembre 2010

Imperial Bedrooms

Depuis Moins que zéro, les personnages de Bret Easton Ellis abritent derrière leurs façades bronzées et leurs signes extérieurs de richesse les abîmes de leur vertigineuse absence d’empathie. Depuis American Psycho, on sait que les voyages au fond du gouffre qu’Ellis affectionne peuvent s’écrire vicieusement à la première personne. Les héros d’Imperial Bedrooms sont plus âgés que dans Moins que zéro, plus âgés aussi que Patrick Bateman, et ils se sentent vieux; mais ceci mis à part, il est difficile de voir ce qu’il y a de nouveau dans ce roman. L’âge et le succès ne font guère que modifier les ficelles du pouvoir qu’ils exercent sur leurs victimes; le temps les a dotés de téléphones portables et les a rendus accros aux SMS. Mais on ne va pas plus loin.

Comme on ne lit certainement pas Bret Easton Ellis pour le plaisir, je ne vois pas trop quelle motivation subsiste si, en plus, il n’y a plus de surprise. Et ce qui ressort finalement de ce quasi-cycle romanesque, c’est l’extrême pauvreté d’invention de ce petit enfer qu’est le Los Angeles d’Ellis. Allez écrire la Comédie Humaine en jouant sur de si maigres ressorts! le sexe, l’argent, le pouvoir: Balzac n’avait pourtant pas beaucoup plus de cordes à son arc, mais il entraînait son lecteur dans des constructions sociales et psychologiques infiniment plus riches que l’univers strictement bidimensionnel d’Ellis. Alors, évidemment, on me dira que c’est justement sur cette pauvreté que Bret Easton Ellis veut attirer notre attention; je maintiens qu’il l’avait déjà fait, et qu’il n’a pas besoin d’écrire, pour se faire comprendre, de nouveaux romans qui ne disent rien de plus que les anciens.

Imperial Bedrooms, Bret Easton Ellis, 2010

dimanche 26 septembre 2010

Le mythe des chambres à gaz

L'article 9 de la loi 90-615 dite loi Gayssot, visant à réprimer les actes racistes et antisémites, dispose que la négation de l’existence d’un crime contre l’humanité constitue un acte relevant du droit pénal et, pour tout dire, un crime. Cet article a permis des poursuites pénales contre les négationnistes que sont Robert Faurisson et Vincent Reynouard, actuellement emprisonné.

Il permet également auxdits négationnistes et à tous leurs émules de s’auto-promouvoir défenseurs de la liberté de pensée et de la vérité historique. Il autorise enfin les comparaisons les plus malveillantes entre notre société et celle du 1984 décrites par George Orwell. Car enfin, la démarche révisionniste s'inscrit dans une pratique de recherche historique dont le propre est d’aboutir parfois à des interprétations diverses de faits identiques. Dans une société qui reconnaît la transparence sur le présent et sur le passé comme le socle de la liberté, il est très choquant de criminaliser cette démarche quand elle produit un résultat indésirable. Le postulat de base de la loi Gayssot n’arrange rien : on suppose que nier publiquement une vérité solidement établie ne peut traduire que la folie, ou une intention perverse. Rappelons-nous que Galilée en son temps a nié une vérité solidement établie : ce n’est pas parce qu’on sait qu’il s’agit d’une vérité que c’est la vérité, hélas !

Mais quoi ? Peut-on sans verser dans un angélisme maladroit laisser de faux historiens brouillons, profs de lettres, ingénieurs ou pharmaciens, jeter le discrédit sur tout un peuple et lui dénier le droit au souvenir de ses morts ?

Regardons-y de plus près, car il me semble que le débat est mal posé. Les négationnistes aujourd’hui s’acharnent à prouver deux points essentiels : il n’y avait pas de chambres à gaz, et il n’y avait pas de plan d’extermination préétabli. Barbotant dans des mètres cubes de témoignages plus ou moins contradictoires et de données physico-chimiques auxquels les historiens n’entendent pas grand-chose, exploitant l’absence de directives écrites concernant l’extermination des Juifs, jouant sur l’obscurité du terme « Endlösung » (solution finale), ils parviennent parfois à semer le doute sur ces deux points.

Ce faisant, ils font tout sauf un travail historique, car ils posent une question sans proposer de réponse. Cette question est tout simplement « que sont devenus les Juifs ? » À l’évidence, « il n’y a pas de chambres à gaz » ne constitue pas une réponse. On sait – pour le coup, les lois, décrets et circulaires ne manquent pas sur la question – que les Juifs, tels que définis par les lois du Reich, ont été spoliés, exclus de la vie économique, privés de leurs droits civiques et de leur liberté de se déplacer ; et ce, à certaines nuances près, sur une très grande partie de l’Europe. Le Reich a ainsi constitué une population de mineurs légaux, incapables de subvenir à ses besoins par elle-même. Il fallait bien qu’on l’entretînt ; et cette charge qui eût été lourde pour un État démocratique en paix incombait à des gouvernements en guerre, à des fonctionnaires animés par une conception bien ancrée du caractère tout relatif du poids d’une vie humaine, à des idéologues du « repeuplement » pour qui les populations se déplaçaient comme des divisions. À l’Est, on sait aussi, grâce aux ordres du jour de l’Ostheer, que les Juifs ont été assimilés à des partisans, tous âges et sexes confondus. Il fallait bien qu’on les empêchât de nuire, pour être conséquent.

À regarder simplement ces textes largement connus et nullement contestés, on en vient à la conclusion suivante : spoliés, exclus, déportés, les Juifs dans l’Europe en guerre devaient mourir. Qu’ils soient morts de faim, de froid, du typhus ou d’épuisement, ou qu’on ait abrégé leurs souffrances par le gaz ou par le fer; qu’on ait prévu dès 1933 de les exterminer ou qu’on y ait été conduit par le « problème juif » insurmontable qu’on avait créé en les privant de toute ressource; qu’importe? Ils devaient mourir; ils sont morts. Le crime contre l’humanité est dans la spoliation, l’exclusion, la privation de liberté, la déportation qui ont entraîné la mort. Il n’est constitué ni par les chambres à gaz, ni par les diatribes prophétisantes de Mein Kampf; les négationnistes pourraient donc logiquement les nier en toute bonne conscience, dans le cadre même de la loi Gayssot, sans que les juges ne s’émeuvent.

Bien sûr, derrière la façade scientifique du négationnisme, il y a son aspect politique, celui auquel la loi Gayssot devait en réalité apporter réponse. Les chambres à gaz, nous disent Faurisson et ses épigones, sont un mensonge ; un mensonge est intentionnel ; donc ce mensonge profite à quelqu’un. Et puisque les chambres à gaz sont un mensonge, les Juifs ne sont pas morts. Ils sont donc là, tant en Israël qu’en Europe, pour bénéficier du « capital repentance » créé par leur mensonge. Discours absurde, puisque ni les chambres à gaz ni le plan d’extermination préalable ne sont nécessaires à l’Holocauste qui, par ailleurs, du fait de la diaspora, a évidemment laissé nombre de cousins d’Amérique ou d’Espagne survivre et faire vivre sa mémoire; mais discours paradoxalement étayé par le raidissement des États européens sur la question des chambres à gaz. Si on défend leur existence par la loi, si donc la négation nuit, c’est que l’affirmation profite : à qui ? C’est tout vu. Telle est la suite du raisonnement.

C’est ici qu’il faut sans doute reconnaître que les chambres à gaz ont effectivement un caractère mythique ; non dans le sens où elles n’auraient pas existé, mais dans le sens où elles ont très profondément marqué l’imaginaire collectif et, comme la crucifixion au christianisme, donné à l’Holocauste une imagerie que l’on n’ose qualifier de « porteuse ». Elles constitueraient ainsi le fondement, non d’une vérité scientifique, mais d’une conscience collective prompte aujourd’hui à s’émouvoir d’une atteinte aux droits essentiels. Seuls s’en attristeront ceux qui craignent que ce poids de culpabilité n’affaiblisse l’Occident et ne divise l’Europe au profit de nations moins complexées – à commencer par Israël. Or cette crainte même repose sur une vision étroite et pour ainsi dire génétique de l’Holocauste dans notre temps. Aujourd’hui, soixante-dix ans après, il n’y a plus ni victimes, ni bourreaux : les descendants des uns n’ont pas commis de faute dont les petits-fils des autres aient eu à souffrir, ils ne leur doivent rien. On a tort de ressortir les John Demjanjuk du placard aux sorcières : les chambres à gaz n’en mettront qu’un peu plus de temps à devenir symbole et mise en garde universelle.

Abrogeons la loi Gayssot, réponse dépassée à un faux problème ; laissons vaticiner les négationnistes, car la loi ne peut avoir pour objet ou pour intention de façonner l’inconscient collectif ; et laissons maintenant les morts enterrer les morts. L’Holocauste appartient aujourd’hui à la culture et non au droit. Cinéastes et romanciers retravailleront encore longtemps cette pâte sanglante pour en extraire ce qu’ils ont à nous dire de l’homme. Pour les juristes et les politiques, il est temps de s’occuper de l’avenir au lieu de se battre sur un passé qui nous a appris ce qu’il y avait à apprendre : à savoir, au cas où quelqu’un en aurait douté, que spolier des hommes en masse, les priver de leurs droits, de leurs ressources et de leur liberté de mouvement, c’est les mettre en danger de mort et créer une charge potentiellement insupportable pour la collectivité, la poussant ainsi au meurtre – ce qui, de quelque façon qu’on considère les choses, est doublement criminel.

lundi 20 septembre 2010

Suites pour violoncelle seul

Mardi 14 et mercredi 15 septembre, Yo Yo Ma jouait au Théâtre des Champs Elysées les six Suites pour violoncelle seul de Bach. J’ai assisté à la première soirée, consacrée aux suites impaires.

Drôle d’idée que ces suites, avec l’arbitraire féroce de leur structure dans laquelle se déploie la liberté de leurs motifs. Pendant une heure et demie, tout y paraît signe d’un sens qui ne cesse de se dérober. Sans doute parce qu’il est seul offert aux regards, le violoncelle lui-même, immobile, symétrique et luisant, acquiert l’aspect péremptoire et hermétique d’une rune. Les mouvements de l’archet et ceux des doigt de l’interprète sont précis et déterminés comme une calligraphie ; et la voix du violoncelle chante comme celle d’un homme, dans une langue qu’il suffirait de peu de chose pour comprendre mais qui, comme dans un rêve, n’en finit pas de déplier ses couches de mystère sans jamais vous laisser saisir son message. Cette impression étrange et vaguement onirique est amplifiée par la magie d’une construction quin en entrelaçant deux phrases musicales (du moins est-ce l’impression que j’ai eue) fait chanter à deux voix cet instrument qui me semble bien pourtant n’en avoir qu’une.

Tâtonnant ainsi dans une sorte de labyrinthe, l’esprit subit cependant l’effet apaisant d’un son vibrant qui semble s’adresser directement au plexus de l’auditeur, si bien qu’on respire la musique plus qu’on ne l’écoute. L’entendement cesse peu à peu de se rebiffer contre ce message qui n’est pas fait pour lui, et vous laisse dériver tranquillement au long des ondes. Il ne manque alors pas grand-chose pour qu’enfin rendu à soi-même on avance de quelques pas vers un mieux que l’on peine à définir, un approfondissement, une vérité… mais non, on a beau sautiller, on retombe. Comme dirait le Chinois fou dans le Lotus Bleu, il faut trouver la voie : ça ne sera pas encore pour aujourd’hui.

dimanche 19 septembre 2010

Des hommes et des dieux

Des hommes, certainement ; mais pourquoi des dieux ? il est frappant de constater à quel point le film de Xavier Beauvois se comprend bien à la lumière d’une perspective strictement humaine d’où les dieux sont absents.

Imaginez les moines de Tibéhirine sans dieu. Que leur manquerait-il ? L’appel qui les a amenés en Algérie, la règle qui les fait vivre, le courage du sacrifice ? L’appel qu’ils ont entendu leur disait de donner un sens à leur vie, de la soumettre tout entière à un projet derrière lequel elle s’effacerait. Mais ce sont les hommes et non les dieux que sert ce projet. La règle à laquelle ils se soumettent rythme leurs journées et aplanit les obstacles : comme le dit frère Christian en évoquant leur réaction après la première intrusion terroriste, « nous avons fait ce que nous devions faire » (en célébrant Noël), et c’est ce qui les aide à conserver leur équilibre. Mais cette règle est humaine par sa conception, elle n’est pas en elle-même un objet de foi.

Quant au courage des moines, lui non plus n’a pas besoin de dieu. Les frères de Tibéhirine ne se sacrifient pas pour un dieu indifférent. Ils meurent par amour, et non un amour désincarné et spirituel, mais l’amour de leurs frères. A ces hommes qui ont tout quitté pour ne compter que les uns sur les autres, le chemin du retour est fermé : ils perdraient tout en se séparant. Tout le film montre le progrès en chacun des moines de cette révélation. Le rapprochement des frères se manifeste par une proximité physique accrue : ils se touchent, ils s’étreignent, et le spectateur est plongé au cœur de cette intimité par la bande son qui fait une large place à la respiration, lors du tête à tête de frère Christian et de frère Christophe par exemple. Lors de l’étonnante scène (ou devrais-je dire Cène ?) du repas en musique, c’est en revanche la vue plutôt que l’ouïe qui donne accès à la nudité de cet amour, par la nudité des visages que ne déguise aucune parole et qui, entre le sourire et les larmes, rayonnent littéralement de tendresse.

La seule chose que fait leur dieu pour les moines de Tibéhirine, c’est leur permettre d’exprimer cet amour. On entend ainsi frère Christophe, soliloquant dans sa chambre, déclarer à son divin interlocuteur un amour très humain : « tu es là, tu m’enserres, tu m’enlaces… je t’aime… ». Qui l’enlace, qui l’enserre, sinon le groupe de ses frères ? Mais comment, sans ce postiche transcendant, pourrait-il avouer, pourrait-il même s’avouer cet amour ?

C’est frère Luc, le vieux médecin goguenard, qui exprime en trois phrases le sens de leur aventure collective. « J’ai souvent été amoureux, puis un amour plus grand est venu, et je l’ai suivi » dit-il à la jeune Algérienne qui lui fait ses confidences (dans une scène d’ailleurs assez artificielle) ; plus grand, on ne sait pas bien, mais il est sûr que cet amour des frères entre eux est nimbé de paix, auréolé de la perfection qui lui vient de n’être pas sa propre fin. « Laissez passer l’homme libre ! » dit-il ensuite à frère Christian, en un écho serein au « Dead man walking ! » des couloirs de la mort ; et libre, il l’est, car il sait ce qu’il choisit et pourquoi. Et enfin, lorsqu’un matin devant la vaisselle frère Christophe remarque « c’était bien, ce qu’a dit Christian ce matin au chapitre », frère Luc répond « ah bon, t’as compris quelque chose, toi ? ». Provocante ou sincère, sa phrase montre le rôle réel de la rhétorique illuminée du frère Christian sur l’incarnation, l’amour divin, la faiblesse humaine et les mœurs des fleurs des champs. Frère Christian n’exprime, au fond, que la poésie de leur amour : il faut bien pour cela parler de fleurs des champs et de renaissance, sans que cela n’ait d’autre sens que de pure émotion, comme autant de déclarations.

Dieu pour les moines de Tibéhirine, ce n’est rien d’autre que le lieu géométrique de l’équilibre entre leur pudeur et leurs sentiments. Tout notre malheur n’est-il pas de ne pas parvenir à en trouver un autre ?

Des hommes et des dieux, Xavier Beauvois, 2010

Le serment des limbes

Le serment des limbes est plutôt un bon Grangé. Autant dire qu’il n’y a pas grand-chose à en écrire ; on y retrouve les ambiances mystico-cauchemardesques, les installations sadiques et tortueuses à base de cadavres putréfiés, les scènes d’action illisibles et le héros policier par conviction, luttant plus énergiquement contre la violence des autres que contre la sienne.

L’originalité de ce roman, si on veut lui en trouver une, réside dans le choix du suspect numéro un, qui n’est autre que Satan lui-même. L’enquête de Mathieu Durey, impliquant quelques prêtres et cardinaux, une miraculée de Lourdes passée dans l’autre camp, un médecin spécialiste de la résurrection et une secte sataniste prend ainsi un petit côté Da Vinci Code qui n’est pas désagréable et qui contribue en tous cas à maintenir l’intensité dramatique.

Par ailleurs, Grangé témoigne d’un certain talent pour réarranger à plusieurs reprises les éléments de l’enquête comme on secouerait un kaléidoscope, promenant ainsi son héros et son lecteur de contre-sens en contre-sens jusqu’à l’illumination finale.

En revanche, et c’est un défaut que le serment des limbes partage avec de nombreux policiers, la dimension psychologique du héros est assez ratée : son coup de foudre malencontreux pour une jeune fille qui se trouve, hélas, au centre de l’enquête, son amitié avec le personnage ambivalent de Luc ne sont ni fouillés ni crédibles – ni même, à mon sens, absolument nécessaires à l’intrigue.

Bref, on passe un bon moment à lire le serment des limbes, après quoi on l’oublie en une semaine ; double bénéfice, car j’imagine qu’en cas de pénurie on peut le relire deux ans après sans s’ennuyer.

Le serment des limbes, Jean-Christophe Grangé, 2007

jeudi 16 septembre 2010

La carte et le territoire

Voilà le premier roman de Michel Houellebecq qui me plaît vraiment (j’espère que l’auteur sera content de l’apprendre). Je n’ai pas aimé la Possibilité d’une Ile, qui retransmettait fidèlement au lecteur l’ennui dont souffraient ses personnages ; ni Plate-forme, pourtant facile à lire avec sa construction très classiquement romanesque, mais truffé d’épisodes sexuels dont les descriptions, dans ce style platement technique que Houellebecq affectionne, étaient barbantes quand il s’agissait de relations tarifées, et bizarrement écoeurantes quand elles concernaient Michel et Valérie, les amoureux sur le retour. Ni Extension du domaine de la lutte ni Les Particules élémentaires, avec leurs galeries de frustrés, n’ont trouvé grâce à mes yeux, encore que je ne me souvienne pas trop pourquoi.

Dans La carte et le territoire, Michel Houellebecq reste fidèle à ce que je préfère chez lui : cet intérêt minutieux pour un monde moderne déprimant mais bien conçu. Comment a-t-on pu lui reprocher de recopier Wikipedia ? c’est génial, au contraire, de reprendre pour décrire notre univers entièrement pensé et manufacturé les textes même qui en sont, par leur mode de fabrication, les plus caractéristiques : notices, circulaires, études de marché ou articles Wikipedia ont parfaitement leur place dans ces méditations sur les ronds-points ou sur les grandes surfaces. Ce qui rend plus transparente, dans ce roman, l’intelligence de ce procédé est bien sûr le miroir que Houellebecq se tend à lui-même à travers le personnage de Jed Martin, l’artiste pour qui la carte – c'est-à-dire la représentation, ou la pensée - est « plus importante » que le territoire, c’est-à-dire le phénomène. Jed Martin peint des gens dans leur attitude et leur environnement professionnel, et ces tableaux qui sont manifestement laids et ennuyeux atteignent des prix faramineux parce que, comme les textes de Wikipedia recollés dans les romans de Houellebecq, ils s’attachent à ce qui est vraiment significatif aujourd’hui : la Jeanne d’Arc, la Mona Lisa de notre temps, c’est « Maya, opératrice de télé-maintenance ». Parce qu’il ne reste plus rien d’autre, bien sûr : on n’est pas obligé de considérer que c’est un progrès.

Tant que Houellebecq en était à se regarder dans la glace, il n’a pas fait les choses à moitié en s’installant lui-même dans son roman, en s’y faisant portraiturer par le héros, puis en s’assassinant de façon particulièrement sanguinolente. La troisième partie du roman, après l’ascension artistique de Jed Martin et sa dernière rencontre avec Houellebecq, est le récit de l’enquête policière sur ce meurtre. Tout en s’imposant ainsi à son lecteur, Michel Houellebecq fait preuve, pour la première fois depuis que je le connais, d’un certain humour. Je l’ai toujours trouvé absolument sinistre ; c’est la première fois que j’entends dans ses phrases un soupçon de tendresse ironique – comme pour ce personnage très secondaire de technico-commercial japonais égaré à Beauvais et considérant son couteau à viande avec l’air d’envisager un seppuku improvisé. Parallèlement, il abandonne, à mon grand soulagement, le créneau du réalisme sexuel ; contrairement à ses personnages habituels, Jed Martin n’est pas un gros frustré (c’est un artiste : ceci expliquerait-il cela ? oui, sûrement).

Une fois l’affaire Houellebecq résolue, ledit Jed Martin se retire au fin fond de la Creuse et se met à bricoler des montages vidéo témoins de l’usure et de la déliquescence des choses, et de la victoire du végétal – celle du non-sens sur le sens, en fait. Il fait ainsi écho à l’œuvre méconnue de son père, architecte dégoûté par le fonctionnalisme et dont on découvre avec le héros les cartons bourrés d’esquisses fantastiques et d’immeubles arborescents ; chez lui aussi, le non-sens prend le pas sur le sens – mais, visiblement, avec une vigueur et une allégresse constructive que son fils démentira ensuite avec obstination. Le succès artistique de Jed Martin répond à l’échec total de son père, dont les plans n’ont jamais connu le moindre début de réalisation.

On ne peut pas dire qu’avec la carte et le territoire Houellebecq ait brusquement versé dans la joie de vivre la plus frétillante : son regard sur le monde est toujours aussi sinistre. Mais il est peut-être moins douloureux, d’une certaine façon. Bizarrement, les personnages de ce roman semblent souffrir moins que les autres de l’absence de sens de l’existence, dès lors qu’ils se sont attelés à en rendre compte eux-mêmes.

La carte et le territoire, Michel Houellebecq, 2010

jeudi 9 septembre 2010

Entre les murs

Entre les murs met en scène une année scolaire de François Marin, professeur de français, et de sa classe de quatrième "multiculturelle" dans le XXème arrondissement de Paris. Il n’y a pas vraiment dans ce film de progression dramatique digne de ce nom, du fait, notamment, que le cours n’avance pas beaucoup entre le début et la fin de l’annéee. En cela, le film se rapproche un peu du documentaire que, par ailleurs, il ne prétend pas être. Le principal ressort du scénario est constitué par le cas de Souleymane, un élève perturbateur qui finira par être exclus du collège.

C’est un film qui ne laisse pas indifférent mais qui n’émeut pas. Pour être ému, il faudrait s’attacher : à qui ? Les personnages sont tous plus têtes à claques les uns que les autres. En revanche, on est forcément pris de malaise à regarder François Marin tourner en rond sans jamais avancer. Ce professeur encore jeune, à la dégaine étudiée (une sobre décontraction qui met en valeur son physique étriqué de post-adolescent), flotte sur ses propres contradictions : il est jeune, mais il est prof. Il tutoie ses élèves, mais ils doivent le vouvoyer. Il leur parle de discipline, mais il réinterprète les règles du collège comme ça l’arrange. Il exige le silence, mais n’insiste pas quand il ne l’obtient pas. Il refuse de désespérer de ses élèves, mais il se moque d’eux en permanence. Il finit, dans un moment d’égarement, par traiter de pétasses deux de ses élèves : pas de chance, mais il l’a bien cherché.

François Marin n’enseigne pas à proprement parler. Il refuse d’apporter à ses élèves un décalage vis-à-vis d’eux-mêmes, de leur parler de quelque chose qui leur serait étranger. Il ne leur laisse jamais aucune respiration, aucune chance de s’oublier un peu – ce qui pourtant semblerait bien nécessaire à ces gamins accrochés à des racines « diverses » et plus ou moins fantasmées et à une vie de famille que, sans rien en voir, on n’imagine pas toujours facile. Même lorsqu’il leur propose d’étudier le Journal d’Anne Frank, c’est pour retomber assez pesamment sur un exercice d’autoportrait qui est pénible à ces enfants incapables de s’exprimer finement, réduits à se décrire de la façon la plus fruste par une litanie de « j’aime, j’aime pas » (encore que certains d’entre eux parviennent à produire une sorte de poésie de l’inattendu par des juxtapositions de goûts et de dégoûts sans aucun rapport les uns avec les autres).

Car tout le nœud du film est là : de nombreux commentateurs ont salué cette « plongée dans le langage » à travers les « joutes verbales » opposant le professeur et les élèves. Joutes verbales ? Quelles joutes verbales ? Les malheureux élèves sont privés de toute expression nuancée et se rabattent en désespoir de cause sur le mutisme, les cris ou les coups. Les quelques scènes de confrontation qui se déroulent en dehors de l’arène que constitue la classe pleine (entre Khoumba et Marin, entre Marin et les parents de Souleymane, entre Souleymane et le conseil de discipline) sont des scènes de monologue où l’institution (le professeur, le principal) tente en vain d’arracher au mis en cause une réponse, une forme d’explication ou de défense. Souleymane qui joue l’interprète lors de sa propre comparution en conseil de discipline et traduit en trois syllabes les tirades de sa mère ou du proviseur est l’incarnation de cet enfermement entre deux registres inefficaces : le mutisme et la provocation. On voudrait l’entendre s’expliquer : on soupçonne qu’il ne peut pas.

Ils peuvent d’autant moins s’exprimer, ces jeunes gens, qu’ils n’en ont en fait pas l’occasion. Le temps du collège, succession de plages horaires bornées, ne le permet pas ; impossible pour François Marin de prendre avec l’un ou l’autre de ses élèves en difficulté le temps de la discussion. Tout se fait en public, ou ne se fait pas ; sur les rares tête-à-tête pèse une hâte et un malaise palpables.

Entre les murs agace à cause de la suffisance que l’on soupçonne chez François Bégaudeau, l’ex professeur inspirateur et acteur du film ; à cause de la niaiserie boboïsante des quelques allusions aux problèmes d’immigration (le retour de Souleymane au Mali, l’arrestation de la mère sans-papiers de Wei) ; à cause de la laideur des images, qui relève cependant d’un parti-pris bien compréhensible – après tout, il s’agit d’un film quasi-carcéral. Cette exaspération fait obstacle à toute émotion, mais non à toute réflexion. Le spectateur est appelé à s’interroger sur la relation entre professeurs et élèves (Marin est l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire, mais que faut-il faire ?) et sur la nature même de l’enseignement à des adolescents : une nécessaire extraction, hors de mondes personnels forcément conflictuels ?

Entre les murs, Laurent Cantet, 2008

mardi 7 septembre 2010

Être et avoir

Être et avoir est un film sans acteurs qui suit l'instituteur Georges Lopez et ses treize élèves pendant toute une année scolaire, dans une école à classe unique, au fin fond rural d’un Puy de Dôme rugueux. Hiver glacial, petites silhouettes laineuses et morveuses ; printemps humide, soirées sombres dans les exploitations isolées où les enfants conduisent le tracteur et font le dîner ; lumière de mai, la classe dans le jardin ; et enfin juin, l’impatience et l’angoisse des départs, les enfants de CM2 propulsés hors de cette matrice.

Avec son rythme posé et ses plans-séquences prolongés, Être et avoir emprunte au documentaire un découpage en saynètes indépendantes – Jojo finit son coloriage, Julien fait une multiplication, Alizé joue avec des gommes – dont chacune est prolongée jusqu’à sa conclusion par l’instituteur tenace et la caméra patiente. Mais l’absence de commentaire et la dramatisation induite tout naturellement par le temps de l’année scolaire, avec son inéluctable épilogue, font d’Être et avoir un film, c’est-à-dire réellement une histoire. Ou des histoires, celles des plus grands élèves dont se dévoilent peu à peu les difficultés.

Que vont-ils devenir, ce Julien, petit agriculteur déjà, aux responsabilités d’adulte, incapable de se fourrer dans le crâne la table de 5 malgré la participation de la famille entière ; cette Nathalie au physique ingrat, murée dans un silence que reproduit déjà sa petite sœur ; cet Olivier, avec son père mourant, ses pulls mités et ses difficultés d’élocution ? C’est leur sensibilité et leur impuissance qui apparaissent tout au long du film, tout comme la sensibilité et l’impuissance de l’instituteur qui, de tout son métier, s’efforce de les armer comme si, pour un enfant qui ne sait pas multiplier à dix ans, la patience pouvait encore faire une différence. Et peut-être le peut-elle, d’ailleurs ?

S’ils quittent leur maître bien fragiles, ils garderont sans doute au moins de leurs années d’école quelques souvenirs lumineux, comme ce pique-nique dans les champs filmé de loin par une caméra placide. Ils auront trouvé à l’école un refuge, un lieu ordonné et juste, un temps où personne n’avait encore renoncé pour eux. En les regardant partir on a, comme leur maître, la gorge serrée, et l'on ne peut s’empêcher d’espérer que ce soit cela, finalement, le plus important pour leur avenir.

Être et avoir, Nicolas Philibert, 2002

Le don d'Asher Lev

Asher Lev est un juif new-yorkais, Hassid ladovérien ; quoi que cela puisse vouloir dire, on sent bien à lire le livre que les Ladovériens ne sont pas précisément des tièdes en matière religieuse. Affligé d’un don exceptionnel pour la peinture en lui-même suspect, car la tolérance divine pour la fabrication d’images fait débat, il a été chassé de sa communauté après avoir exposé des tableaux représentant sa mère en croix. Resté fidèle aux commandements et profondément religieux, il vit en France avec sa femme Devorah et ses deux enfants quand la mort de son oncle Yitzhok le ramène à Brooklyn. Là, ses parents et le Rèbbe, chef spirituel des juifs ladovériens, exercent sur lui une douce pression pour le convaincre de leur confier son jeune fils, Avrumel, afin d’en faire le successeur du Rèbbe et le garant de l’avenir de la communauté dont Asher Lev lui-même restera une brebis galeuse.

Le don d’Asher Lev, ce n’est pas son talent, c’est le sacrifice de cet enfant. Si Asher Lev n’a pas trouvé dans la tradition juive d’image de la douleur et a dû recourir à la crucifixion pour représenter les angoisses de sa mère, il a d’ailleurs à portée de main l’image juive du sacrifice : celui d’Isaac par Abraham. Et comme l’immolation (interrompue) d’Isaac a prouvé la confiance d’Abraham et a raffermi l’alliance entre lui et son dieu, le don d’Asher Lev garantit l'avenir de la communauté, offre à Avrumel un destin vaste et exigeant, et rend au peintre la puissance créatrice qui s’enracine dans la solitude.

Tout le livre se déroule sur la période de quelques mois qui suit la mort de l’oncle Yitzhok et se clôt avec la décision d'Asher Lev. La chronologie est enrichie de nombreux retours en arrière et de méditations d’Asher Lev sur l’art et la création. Asher Lev étant, durant toute cette période, perpétuellement dans le cirage, ces méditations prennent la forme de dessins quasi automatiques ou de rêves dans lesquels Picasso apparaît régulièrement, indépassable et méphistophélique, sorte de chef spirituel artistique qui fait pendant au Rèbbe. Ces interludes donnent une remarquable épaisseur psychologique à Asher Lev dont le paysage intérieur est, au travers de ces visions, décrit par lui-même sans pour autant que le personnage ne s'analyse.

Il est étonnant, incidemment, de constater à quel point on s’adapte rapidement à cette secte ladovérienne où même les chants de colonie de vacances parlent de la Torah. La communauté absorbe en quelques jours une Devorah certes désespérément avide de sécurité, mais accueille aussi, d’une certaine façon, le lecteur bercé par les services religieux successifs et anxieux, comme les fidèles, de la santé du Rèbbe et de ses moindres gestes. La sévérité du père d’Asher Lev, l’intolérance de la communauté ne choquent qu’à peine tant elles apparaissent indispensables à la survie de cette société stable et unie. Et même pour un incroyant, Chaïm Potok rend sensible le bien-être moral qui vient de la prière (cette certitude quotidienne de faire quelque chose de bon, d’honorable et d’immuable) et le confort social issu d’une tradition partagée. Le lecteur perçoit aussi l’effet de l’attente et de l’approbation de la communauté sur ses membres ; le père d’Asher Lev, le Rèbbe lui-même tirent leur sainteté de leur position éminente, autant, voire plus, que l’inverse. Evidemment, quand Dieu est là, tout va mieux. Dommage que… bref.

Les thèmes du Don d’Asher Lev sont aussi ceux de l’Elu : la paternité et la modernité. Etre fils ou être père, dans une communauté entièrement fondée sur un héritage, on se représente le poids que cela peut exercer. Se lancer dans l’exploration moderne de l’humanité, à travers l’art ou la science, et se détourner en conséquence du commentaire de la Torah, on mesure la trahison que cela constitue pour des esprits qui doivent tout à cette étude. Ces conflits dramatiques, racontés dans un style très dépouillé, font la puissance et sans doute la nécessité de ces romans remarquables.

Le don d’Asher Lev, Chaïm Potok, 1990
Traduction Jacques Barret

dimanche 5 septembre 2010

Poetry

Mija est une femme âgée, affligée d’un petit-fils néandertalien qui, avec cinq camarades de classe, a poussé une collégienne au suicide en la violant régulièrement. Les pères de ces jeunes gens tentent de transiger avec la mère de la victime ; Mija, qui élève seule l’affreux Wook, se trouve ainsi associée par la force des choses à ces quadragénaires goguenards qui se servent d’elle sans délicatesse excessive. Chez cette femme sensible et vulnérable, la volonté de protéger son petit-fils se mêle à la honte et au dégoût, et à une déchirante compassion pour la jeune victime et pour sa mère.

A cette intrigue vaguement policière se superpose une histoire intérieure : celle de la tentative désespérée de cette femme assoiffée de beauté pour écrire un poème, alors qu’elle est confrontée aux premiers signes d’effacement de sa mémoire. Elle croit à la poésie malgré les ridicules et les déceptions ; elle croit que deux cours par semaine à la maison de la culture pendant un mois lui révèleront comment extraire d’elle-même la poésie qui va mourir avec elle. Avec obstination ou sans le vouloir, en tombant dans ses trous de mémoire, elle abandonne sans cesse la sordide réalité pour interroger une pomme ou un abricot. La peinture sans concession de cette foi absurde dans la beauté, de la part de cette vieille dame écrasée par le chagrin et la honte, impuissante devant la brutalité des hommes, est extrêmement émouvante.

Pourquoi d'ailleurs est-elle touchante plutôt qu’agaçante, cette Mija remarquablement interprétée par Yoon Jung-hee? avec ses efforts d’élégance, son obstination à traquer l’inspiration carnet en main, ses discours sur la beauté des fleurs, elle pourrait exaspérer. Mais elle est embellie de sa fragilité apparente et de l’effritement irréversible qui la menace. Elle émeut par son humilité et par la générosité qui la pousse à se faire belle et la rend tendre au vieillard hémiplégique dont elle s’occupe. Et on ne peut rester insensible, tant ils sont magnifiquement humains, à sa foi désintéressée, sans prosélytisme ni espoir de rédemption, et à cet effort ultime et dérisoire pour faire éclore in extremis la très ancienne promesse que Mija sent encore vivre en elle.

Poetry, Lee Chang-dong, 2010

Chanson sans paroles

Chanson sans paroles est une histoire de femmes : Liz, mère au foyer insipide, Sarabeth, sa meilleure amie, célibataire hantée par le suicide de sa mère, Lauren, la fille adolescente et mal dans sa peau de Liz. Quand Lauren tente de se suicider, Sarabeth est incapable de renverser le sens habituel de sa relation avec Liz, sa mère de substitution, pour lui apporter à son tour un réconfort : la dépression de Lauren et la brouille de Liz et de Sarabeth font tout l’argument du roman.

Comme l’héroïne couturière d’Un amour de jeunesse, premier roman d’Ann Packer, les trois femmes sont dotées de petits talents créatifs et traduisent leurs difficultés et leurs angoisses dans des activités vaguement artistiques : Sarabeth confectionne des abat-jour, Lauren dessine, et Liz s’acharne sur un monstrueux banc de sa conception, écossais bleu et jaune avec un semis de fleurettes (je n’invente rien). Je n’arrive pas à comprendre s’il y a dans l’insignifiance consternante de ces passe-temps une subtile tentative de second degré. En tous cas, il s’agit là du seul décalage qu’Ann Packer permet à ses personnages ; la confection d’abat-jour constitue toute la dimension spirituelle du roman dans lequel personne ne manifeste sous aucune autre forme d’aspiration à la beauté, d’interrogation sur le sens de l’existence, de préoccupation philosophique ou simplement d’ambition. Tout est considéré comme donné, rien ne provoque l’interrogation ou le doute, en dehors du minuscule cercle relationnel dans lequel les personnages tournent comme des hamsters, passant de ce que leur mère a fait d’elles à ce qu’elles font de leur fille, sans oublier de se demander qui d’autre joue pour elle un rôle de mère ou de fille. Même quand Sarabeth se passionne pour Anna Karénine, c’est qu’elle y voit un éclairage apporté au suicide de sa mère !

Je les hais solidement, ces femmes qui errent dans leur labyrinthe freudien tout en éminçant une poire dans une coupe de mûres pour le petit-déjeuner, et je n’ai aucune sympathie pour Ann Packer non plus. Une femme qui semble admettre que le salut offert par les poires émincées est trompeur mais qui nous offre des abat-jour en guise de refuge ne mérite pas qu’on la lise.

Chanson sans paroles, Ann Packer, 2007
Traduction Michèle Hechter