vendredi 28 janvier 2011

Madame Butterfly

J’avais oublié à quel point Madame Butterfly était dramatique. Il y a quelque chose de racinien dans cette tragédie dont tout le monde, sauf l’héroïne, connaît l’issue à l’avance, et dans cette progression totalement épurée de toute péripétie. Les personnages y sont presque désincarnés, dépouillés de tout caractère propre, traversés par leur destin et par l’émotion qui flambe ou coule en eux – en elle, plutôt, tant le rôle-titre écrase les autres. Quand elle chante, cette Butterfly, ce ne sont pas des mots qu’elle égrène, on ne perçoit pas la géométrie des motifs musicaux: ce sont des nappes qui s’épanchent, comme pleurées par son âme écrasée; c’est un cri mélodieux, le fruit cristallin de la douleur.

Ou est-ce la mise en scène très stylisée de Robert Wilson qui amplifie, qui crée peut-être cet effet de dépouillement tragique ? Devant un écran éclairé d’une lueur d’orage ou d’une aube de printemps, il n’y a sur la scène qu’un plancher de bois et un sentier sinueux de galets. Blancs comme l’insouciance ou noirs comme le deuil, caparaçonnés de costumes raides comme du papier, les chanteurs restreignent leurs gestes, se déplacent à pas mesurés: dans cette économie de mouvement, les positions que sur la scène ils occupent longuement et avec détermination figurent un langage en même temps qu’elles dessinent des tableaux.

L’étonnant est que Madame Butterfly est également assez drôle. L’exotisme fournit, outre une relative vraisemblance à l’intrigue, l’occasion de respirations qui seraient presque bouffonnes si elles ne restaient discrètes : les quelques mesures de l’hymne américain qui se mêlent à la musique alternent avec un court thème caricaturalement oriental, les dialogues entre Américains et Japonais sont pleins de malentendus vaudevillesques, et la mise en scène en même temps qu’elle amplifie le tragique par son dépouillement évoque un Japon d’opérette qui prête à sourire.

S’il faut regretter quelque chose je déplorerai, sans doute, que Micaela Carosi laisse si peu de place à des acolytes qui d’ailleurs n’en méritent pas forcément beaucoup plus (le Pinkerton de James Valenti est bien pâle, mais peut-il en être autrement ?); et aussi que finalement, alors que l’on n’entend qu’elle, on ressort en ayant l’impression de ne l’avoir pas entendue assez. Ce n’est pas parce qu’elle est éteinte, au contraire: mais ces airs glissants et changeants ne donnent guère de prise et passent, dirait-on, à peine commencés, alors même que l’émotion est la plus transparente et que l’on voudrait y baigner sans fin.

Madame Butterfly, Puccini, 1904
Mise en scène Robert Wilson

mardi 25 janvier 2011

La solitude du docteur March

Qui a oublié l’année que les quatre filles du docteur March ont passée sans leur père, parti défendre ses idéaux pendant la guerre de Sécession ? Le livre de Louisa May Alcott était plein de bons sentiments et de combats héroïques pour vaincre l’orgueil, l’esprit d’indépendance, l’égoïsme et la timidité excessive: bref, un très sympathique roman pour enfants. Geraldine Brooks prend l’histoire par l’autre bout et, en respectant l’espace de cette même année, parvient à faire tenir dans son récit des aventures du docteur March tout ce que Louisa May Alcott ne nous disait pas. Comme de juste, rien n’est si simple que nous l’avions cru à l’âge de huit ans.

Le docteur March est à l’image du foyer qu’il a créé, plein de bonnes intentions, de nobles convictions et d’idées conventionnelles sur les mœurs, débordant d’une poésie aussi sincère que convenue, et totalement démuni face à la cruauté du monde. Geraldine Brooks lui donne la parole : il écrit à sa petite famille des lettres rassurantes et pleines d’onction, il commente en même temps les évènements beaucoup moins réconfortants auxquels il participe, et il se remémore toute sa vie par la même occasion, ou tout au moins les expériences qui ont contribué à le propulser au milieu d’une guerre civile où il se sent totalement inutile. Il est un peu agaçant, le pauvre homme, avec son lyrisme de pacotille et ses méditations pataudes et didactiques sur John Brown et sur l’abolitionnisme. Mais c’est toute la malice de Geraldine Brooks que de mettre ces maladresses sur le dos du docteur March ; après tout, s’il est pontifiant, ce n’est certes pas de sa faute, à elle.

Ce que raconte March, c’est l’éboulement de toutes ses certitudes, l’écroulement de l’image qu’il avait de lui-même : c’est le naufrage d’un idéaliste. A la guerre, comme il s’en aperçoit rapidement, l’homme ne sert qu’au même titre que les munitions ou le corned-beef. Quand il s’agit ensuite de contribuer à l’émancipation des Noirs nouvellement libres, le pasteur perd ses illusions sur les joies de la liberté et s’avise subitement qu’elle ne nourrit pas son homme. Tous ceux qu’il aide, tous ceux qu’il croit sauver sont avalés par la fournaise du monde en guerre. Il n’est guère porté à l’action immédiate et n’est pas physiquement courageux ; il en conçoit une honte insupportable.

Encore le pauvre March n’entend-il pas ce que nous dit sa femme quand elle prend la parole à son tour pour la seconde partie du livre, alors que lui gît entre la vie et la mort sur un lit d’hôpital. Les seules certitudes qui lui restaient concernaient sa femme, qu’il aime profondément. Tandis qu’elle découvre que son mari a eu un faible prononcé pour une belle esclave vingt ans auparavant, le lecteur constate que cette épouse irréprochable pince le nez en croisant des Noirs et regrette le bien-être matériel que son mari a jeté par-dessus les moulins pour financer l’abolitionnisme à fonds perdus. Pauvre March, qui a fait tout ça, et plus encore, dans l’espoir de séduire, année après année, son dragon d’épouse !

Tout n’est pas sans reproche dans la solitude du docteur March; le personnage de la belle esclave, et tous les épisodes qui tournent autour, sont un peu tirés par les cheveux, et les références au roman de Louisa May Alcott sont poussives. Mais on prend grand plaisir à l’intelligence de ce cheminement, et on partage sincèrement le désespoir ampoulé de March, cet homme tendre flottant, en amour comme en politique, dans des idéaux trop grands pour lui. A travers son histoire Geraldine Brooks rappelle au lecteur quel immense courage l'incontournable médiocrité de l'action exige de la part de ceux qui pensent avant d'agir: la solitude du docteur March est celle, intemporelle, de l'intellectuel face à la réalité.

La solitude du docteur March, Geraldine Brooks, 2006
Trad. Isabelle Philippe

Brume de Dieu

Ceci n’est pas une pièce de théâtre. Il s’agit en réalité d’un texte extrait d’un roman de Tarjei Vesaas intitulé Les Oiseaux, et dit sur scène, en un monologue d’une heure et demie, par un acteur incarnant Matis, le personnage principal du récit. Comme, assez opportunément, Matis est un innocent qui parle aux oiseaux (d’où le titre), on s’accommode de le voir raconter ses propres aventures à la troisième personne d’une voix qui traîne et se brise sur certains mots, en particulier les prénoms – celui de Matis et de sa sœur Hege – soumis à une scansion systématique qui les fait paraître incertains et douloureux. Matis ânonne et radote comme le veut son état, mais il use du vaste vocabulaire et des tournures élaborées du narrateur : curieux contraste qui le décrit aussitôt, aux oreilles du spectateur non prévenu (parce qu’il n’a pas pensé à lire le roman, d’ailleurs introuvable) comme un homme d’un certain âge vivant à l’écart du monde moderne.

Matis déambule seul sur une scène noire, sous un plafond noir, entre deux murs rarement éclairés : toute la pitance offerte aux yeux des spectateurs se résume à un jeu d’expressions pour le moins limité éclairé par des lumières d’intensité et de couleur variable. Ainsi la pièce, et en particulier les cinq ou dix premières minutes pendant lesquelles l’acteur ne prononce pas un mot, prend-elle l’allure hypnotique d’une expérience de privation sensorielle. Il m’est difficile de comprendre quelle émotion cette manipulation est censée exprimer, ou quel phénomène susciter ; pour ma part, ce procédé trop apparent a eu pour effet de m’agacer copieusement.

Sans doute affectée par un défaut de sensibilité pathologique, je supporte très mal les œuvres d’art dont le principe, si j’ose dire, ne réside ni dans leur sujet, ni dans leur auteur, mais dans l’œil qui les regarde. J’entends par là que l’œuvre peut être plus ou moins attachée et motivée par le désir de représenter une réalité, ou une impression ; ou bien, par le désir de ne rien représenter du tout, mais de susciter ou de provoquer dieu sait quoi chez le spectateur, de le rappeler à ses propres émotions et au traumatisme insurmontable de sa naissance, ou de le « mettre en situation » de « créer du sens » (comme à la maternelle chez les instituteurs Freinet).

Ce qui m’insupporte là-dedans, ce n’est pas tant le projet de composer avec l’intelligence ou l’émotion du spectateur – à vrai dire, toutes les formes d’art en passent par là, j’imagine – c’est l’absence de sincérité de l’artiste qui, au motif de laisser le spectateur remplir les vides, s’abstient de dire quelque chose de lui-même. Car enfin, si je tiens absolument à me pencher sur mes propres états d’âme, je n’ai besoin de personne pour me tenir la main. La peste soit des metteurs en scène maïeuticiens ! De quoi se mêlent-ils ?

Brume de Dieu, Claude Regy, 2010

lundi 24 janvier 2011

Lizka et ses hommes

Dans l’Union Soviétique en déliquescence des années 80, les hommes boivent et racontent des salades, les voitures et les produits de beauté viennent d’Occident, et les étudiantes s’empilent à quatre dans six mètres carrés. Sans attaches et sans perspectives, Lizka est néanmoins bien décidée à forcer un avenir dont elle ne se fait pas cependant une idée très précise : aussi s’engage-t-elle avec plus d’enthousiasme que de bonheur dans une formation d’infirmière, un gagne-pain de concierge, une carrière de Komsomol, un emploi de conductrice de tramway… Et, comme le titre l’indique, elle s’embarque en même temps dans une succession d’aventures plus ou moins sentimentales avec des hommes qui ont chacun leur façon de faire leur trou dans le vaste foutoir qu’est déjà l’ancien empire.

Cette Union soviétique en bout de course n’est plus oppressée par une idéologie qui se désagrège à grande vitesse ; elle est déjà corrompue, toujours inefficace et bringuebalante comme ses tramways, mais elle apparaît plus désabusée que violente, plus inepte que volontairement cruelle. Aidée par une santé mentale et une joie de vivre à toute épreuve, Lizka peut ainsi traverser toutes ses tribulations, et tous ces appartements exigus et puant le chou, sans y perdre la fraîcheur et le caractère direct qui la rendent sympathique au lecteur et surtout, apparemment, à l’auteur.

Lizka et ses hommes n’est pas un livre inoubliable, mais il a le mérite de promener sur les dernières années de l’Union Soviétique, et sur la capacité de ses habitants à prendre les choses comme elles viennent, un regard enjoué qui rappelle bizarrement quelques pages de Soljenitsyne, l’oppression en moins.

Lizka et ses hommes, Alexandre Ikonnikov, 2003
Trad. Antoine Volodine

vendredi 21 janvier 2011

Père et Fils

Père et Fils se déroule dans le Sud des Etats-Unis, pendant un été du milieu des années 60. Les voitures n’ont pas la clim, les hommes trimballent partout leur glacière pleine de bière et travaillent à l’usine locale de machines à laver ou au garage du patelin, il y a sur la place un distributeur d’eau pour les Blancs et un autre pour les gens de couleur, il traîne des fusils chargés dans toutes les maisons. Glen sort de prison où il a passé trois ans pour avoir écrasé, un jour de cuite, un gamin sur une route. Au long de ces quelques jours où Glen retrouve son père, la femme dont il a eu un fils, et le shérif qui l’a envoyé en prison, le roman dévoile un nœud de relations douloureuses et d’histoires inabouties et entremêlées. Parallèlement se dessine au fil des pages la personnalité tordue de Glen, apparemment incapable d’empathie (à l’égard d’êtres humains tout au moins) et celle de Virgil, son père.

L’adresse de ce livre est d’adopter, au moment d’entrer dans l’histoire, un point de vue indéterminé sur les personnages. Virgil par exemple, le père de Glen, dont on découvrira peu à peu le caractère apaisé et ouvert et la capacité à accepter ses erreurs passées et à vivre avec, apparaît initialement comme un quasi-vieillard crasseux et aigri. Bobby, le shérif, est d’abord présenté comme un homme laconique que l’on soupçonne de s’emmurer dans sa bonne conscience et son uniforme et de fuir les relations avec ses semblables au point de vivre encore chez sa mère. L’intrigue fera peu à peu apparaître l’un et l’autre sous un jour différent. Elle promènera ce faisant le lecteur parmi les « petits Blancs » de ce trou perdu avec une tranquille lenteur qui rappelle Steinbeck : les dialogues sont brefs et les phrases s’attardent sur les sensations et les objets – un grillage anti-moustiques arraché, un commutateur de pompe bon à changer, quelques billets dans une vieille théière, une odeur de viande hachée.

Quant à l’intrigue de Père et Fils, elle tient la route, bien que le suspens final soit en réalité moins stimulant que les interrogations du début du livre sur les rapports entre les protagonistes, et que la dernière page soit cruellement hollywoodienne. On pardonnera cependant beaucoup à Larry Brown pour sa totale absence de prétention : il n’y a pas de morale dans Père et Fils, mais des personnages qui semblent tirés par les évènements du bon ou du mauvais côté d’eux-mêmes.

Père et fils, Larry Brown, 1996
Trad. Pierre Furlan

jeudi 20 janvier 2011

Kornwolf, le démon de Blue Ball

Tristan Egolf est déjà un auteur posthume, et c’est bien dommage. Après avoir commis l’ébouriffant Seigneur des Porcheries et un plus anecdotique Jupons et violons (que je n’ai pas lu et que je débine donc sans fondement, ce qui est mal), il s’est suicidé alors que Kornwolf n’était pas encore publié.

Kornwolf, comme le Seigneur des Porcheries, est une histoire de réprouvés : à l’image du John Kaltenbrunner de son premier roman, les personnages principaux de Kornwolf se distinguent par leur position sociale peu enviable. Owen Brynmor, journaliste sans emploi à l’éthique douteuse, et Ephraïm Bontrager, jeune Amish rendu muet par les mauvais traitements paternels, n’ont rien d’autre en commun que leur lieu de naissance, la Cuvette où s’étale la somnolente ville de Stepford et où, sans se rencontrer, ils sèment à eux deux une pagaille cataclysmique. Le lecteur les suit, non sans quelque peine parfois – les personnages sont nombreux et leur introduction sommaire – au fil d’un récit semi-fantastique qui convoque les archives des Amish de Pennsylvanie, leurs généalogies tortueuses et leur passé mouvementé, et s’autorise des détours à vue de nez totalement inutiles dans la vie quotidienne d’un entraîneur de boxe.

Ce mélange étonnant est plutôt réussi : on accroche à l’enquête d’Owen Brynmor sur les traces du démon de Blue Ball, et on ne peut qu’admirer le côté ethnographique de la plongée parmi les Amish. On retrouve aussi dans Kornwolf la violence narquoise qui était si frappante dans le Seigneur des Porcheries, où toute victime était ridicule avant même d’être pitoyable.

Cependant Tristan Egolf perd sans doute une part de son explosive puissance évocatrice en la fractionnant ainsi à travers les prismes de l’enquête et du fantastique et en diluant par la métaphore le caractère corrosif du personnage de Messie des réprouvés qu’il avait si remarquablement construit au travers de John Kaltenbrunner. Ephraïm Bontrager, si inquiétant qu’il soit, est ainsi très loin de posséder la dimension du Seigneur des Porcheries. Reste que Kornwolf est un roman atypique et prenant qui vaut, de toutes façons, la paire d’heures qu’on lui consacrera.

Kornwolf, le démon de Blue Ball, Tristan Egolf, 2006
Trad. Francesca Gee

lundi 17 janvier 2011

Rêve d'automne

Je ne connais rien au théâtre, que cela soit bien entendu. Mais comme de juste, cette vaste ignorance ne m’empêchera ni d’avoir un avis, ni de vous en faire part. Rêve d’automne est une pièce de Jon Fosse, auteur norvégien contemporain apparemment connu pour ses textes à la fois répétitifs et hachés qui exigent une mise en scène intelligente : ce pour quoi l’on peut, de l’avis général, se fier à Patrice Chéreau.

Celui-ci commence par replacer dans un musée une pièce qui se déroule en principe dans un cimetière: si l’on comprend bien le parallèle entre ces lieux vides que le passé écrase, la substitution apparaît pour autant un peu gratuite – de l’intelligence en trop, si j’ose dire. Au demeurant, le décor créé pour l’occasion est impressionnant: une salle vide ouvrant, par deux monumentales embrasures, sur d’autres salles vides permet aux acteurs qui ne sont pas au centre de la scène d’errer, fantomatiques, apparaissant et disparaissant derrière les murs sang-de-bœuf. Patrice Chéreau réintroduit dans la pièce, en chair et en os, deux fantômes que le texte ne fait qu’évoquer et qui, pieds nus, en jogging ou en chemise de nuit, tournent autour des personnages vivants. La grand’mère à laquelle, en fait, personne ne pense, même le jour de son enterrement, promène sa sollicitude inutile tandis que tous l’invoquent à tour de rôle, faute d’avoir autre chose à dire. Le fils que le protagoniste a refusé d’élever déambule également, immatérielle statue du Commandeur à la plastique marmoréenne. Tout ceci est fort intelligent quoiqu’un peu trop didactique, un peu trop stylisé pour qu’on y adhère complètement.

Au milieu de ce décor immobile et parcouru d’ombres, un homme (Pascal Greggory) et une femme (Valeria Bruni-Tedeschi) apparaissent à trois moments de leur histoire commune, sans que les transitions permettent de comprendre immédiatement que des années, peut-être, séparent ces rencontres. Ce doute permanent sur l’écoulement du temps et sur le déroulement de l’histoire, l’absurdité des dialogues dont des pans entiers sont repris et répétés sans que cela corresponde à un progrès narratif – au point qu’on se figure pouvoir mélanger et inverser différents moments de la confrontation sans que le sens de l’histoire en soit altéré – contribuent à susciter l’ambiance onirique qui justifie le titre de la pièce. Pour ma part, j’ai été franchement gênée par certains détails dont je n’ai pu déterminer s’ils relevaient de l’artifice ou de l’erreur pure et simple. Pendant l’enterrement de la grand’mère, qui est le second moment de cette histoire, la mère de l’homme lui rappelle qu’il a déjà cinquante ans, et que son fils a l’âge qu’il avait, lui, quand il l’a conçu. Comme le fils en question n’a pas vingt ans, je suis restée coincée un bon moment sur la division de cinquante par deux: heureusement, l’intrigue n’a guère progressé pendant que je ruminais cette question.

Mais ce qui m’a surtout gênée, c’est que le couple formé par l’homme et la femme ne fonctionne pas. Valeria Bruni-Tedeschi, la voix criarde et le geste outré, en rajoute sur la fragilité de son personnage tandis que Pascal Greggory ne cesse de se contorsionner dans des attitudes improbables, se déplaçant courbé en deux et comme bossu. Le texte comporte des boucles dont la nécessité n’est pas apparente, telles les divagations sur les pierres tombales qui soulignent à l’excès, de façon une fois encore par trop didactique, les non-dits et les impasses des protagonistes; réciproquement, le jeu des acteurs s’empâte d’une crudité spasmodique qui est d’autant moins utile qu’elle est rendue d’entrée de jeu problématique par la première apparition de Pascal Greggory en quasi-clochard, ôtant ses chaussures pour s’en faire un oreiller. De cette entrée en matière on gardera tout le long de la pièce l’impression que cet homme pue. Difficile, du coup, de partager les émois de la femme, ou même de les tolérer. A ces scènes intimes trop pesantes, j’ai de loin préféré la partie centrale où tous les personnages sont réunis pour l’enterrement de la grand’mère et s’égarent dans des dialogues de convention, d’une absurdité pour le coup réjouissante et en tous cas moins étouffante que les entrechats lubriques auxquels l’homme et la femme se trouvent réduits quand ils sont seuls.

Dans la dernière partie de la pièce, la femme met des chaussettes rouges, l’homme enlève ses chaussures (à nouveau). La mise en scène de Chéreau tend à se condenser au niveau des pieds. Et c’est aussi à ce niveau que se résume mon propre inconfort face à ce spectacle. Entre le bruit de pieds nus sur un parquet, qui ouvre la pièce – rien de théâtral à mon sens comme ce bruit qui vous signale sans erreur possible la proximité du corps de l’acteur en même temps que la volonté de vous attirer immédiatement, charnellement, dans la pièce – et l’odeur (fantasmée) des pieds sans chaussettes de l’homme dans ses baskets marron; entre le pas sonnant des vivants et les pieds nus des morts, j’ai vu trop de symboles pour trop peu de sens, trop de corps pour trop peu d’esprit. A force de montrer les choses, comme le dit le protagoniste, elles disparaissent. Si c’est ce que Chéreau voulait montrer, c’est réussi.

Rêve d’automne, Jon Fosse/ Patrice Chéreau, 2010

Lennon

Je sais que ce n’est pas le sujet, mais je n’aime pas les livres qui tentent, en triplant la taille des caractères, de faire oublier qu’ils sont trop courts. J’avais donc un a priori défavorable sur ce Lennon psychanalytique, et je tourne la dernière page un peu agacée de sa facilité. Suis-je à ce point mauvais coucheur ? Tout n’est pourtant pas à jeter dans ce livre, à commencer par l’idée de faire parler Lennon lui-même, qui s’épanche auprès d’un psy invisible sur son enfance pourrie, sur ses amitiés brisées, trahies, rafistolées – Stuart Sutcliffe, Brian Epstein, Paul McCartney bien sûr – sur sa paternité ratée… Gibier de divan, Lennon l’était sans doute, dès lors qu’il ne chantait plus : situer ces entretiens fictifs dans les cinq dernières années de sa vie n’est donc pas absurde, à première vue. Adroitement écrit, avec des tournures qui évoquent en effet un Lennon traduit en français, le livre de David Foenkinos dresse le portrait d’un homme fragile dont la créativité trouve ses racines et sa contrepartie dans une immaturité destructrice.

Ce qui m’agace là-dedans ne peut sans doute pas être retenu contre l’auteur : je trouve pour tout dire le projet un peu vain. Il s’agit en fait de redire avec les mots de Lennon ce qu’on connaît déjà de sa vie. Mais je ne peux me défendre de l’impression que ce que Lennon avait à dire, il l’a dit, et de fort belle manière. Que gagne-t-on à voir expliquer par un simili-Lennon le lien entre la vie de Lennon et l’œuvre de Lennon ? On imagine que la matière brute de cette vie a cuit dans Lennon comme dans un chaudron pour donner une musique nouvelle et profondément personnelle : que découvre-t-on de plus lorsque sur cette métamorphose enchantée le chaudron lui-même fournit son point de vue ? A mon sens, rien d’inoubliable.

J’aime autant voir Lennon par les yeux d’un autre, avec les mots d’un autre : il me semble que lui-même ne peut pas s’ajouter grand’chose. Lennon-Foenkinos ne peut pas, par exemple, ou en tous cas ne tente pas d’approfondir les complexités des relations amicales de John : pudeur ou incapacité bien vraisemblables, mais pas moins frustrantes pour autant. Et quand il parle de sa mère, ou de Yoko, ses mots sont bien plats par rapport aux chansons, ou même par rapport aux photos dans lesquelles, allez savoir pourquoi, on croit tant voir du « vrai » Lennon.

Lennon, David Foenkinos, 2010

vendredi 14 janvier 2011

Noir béton

Je me demande pourquoi Noir Béton est paru dans une collection consacrée aux romans policiers. Il y a certes des morts dans ce livre, il y a même des meurtriers, mais il n’y a pas d’enquête, ce qui, dans ma naïveté, me paraissait être l’essence même du roman « policier ». Au demeurant, n’ergotons pas : enquête ou pas, cette histoire de béton est impressionnante.

Noir Béton suit une équipe d’ouvriers du bâtiment de San Francisco. La gunite est leur métier : la gunite, si j’ai bien compris, c’est du béton sous pression projeté sur un treillage métallique pour faire à peu près n’importe quoi – des murs, des silos à grains, des piscines, des fossés de drainage… « Béton sous pression » devrait vous mettre la puce à l’oreille : le maniement de la lance est un travail dangereux où la moindre erreur entraîne des surpressions énormes, des bonds de cabri d’un tuyau rigide de plusieurs mètres de long et des projections non contrôlées de béton liquide. Pour tout arranger, le management de l’équipe est aléatoire, le patron est véreux, les syndicats sont à côté de la plaque, les ouvriers sont alcooliques et habitent dans leur voiture (quand ils en ont une).

Eric Miles Williamson ne s’embarrasse pas de fioritures stylistiques. Il propulse son lecteur au milieu de l’équipe et le laisse se familiariser vaille que vaille avec ses personnages en nous les montrant de l’extérieur, sans commentaire. Les points de vue plus subjectifs sont rares et en général focalisés sur des sensations très primaires. De brèves et déprimantes incursions dans la vie privée des personnages, si l’on peut appeler ainsi une succession de beuveries sans espoir, de bagarres de bistrot et de négociations avec un obligeant dealer chinois, alternent avec des scènes de chantier : on attend le mélange, un ouvrier perd un doigt, on change de contremaître, un ouvrier meurt. Le tout est écrit au présent, avec un usage minimaliste des conjonctions et un vocabulaire qui évoque exactement la matière première du roman – non pas rocailleux mais pesant et informe, gris et hostile. Ce langage, cette construction donnent au roman une surprenante force suggestive ; le barbotement répétitif et sans fin dans le béton, l’absence d’avenir, de passé et, plus largement, d’abstractions telles que morale ou émotions aspirent littéralement le lecteur avec une puissance qui rappelle Faulkner.

La force de Noir Béton est également dans ses personnages qui, malgré la déshumanisation que leur font subir tant leurs conditions de vie que le traitement narratif auquel ils sont soumis, conservent une personnalité ambigüe. Rex le mauvais garçon qui met la pagaille dans l’équipe pour le plaisir et traite cyniquement les aspirations de ses coéquipiers est aussi le seul qui ait pris la mesure du système qui les écrase et qui expédie inutilement et malignement quelques pierres dans les rouages ; Broadstreet le brave type, prêt à estimer ses collègues et à les traiter humainement, est incapable quant à lui de résistance. Plus opaques, les autres personnages, y compris les deux anonymes, n’en sont pas moins utiles, ni moins crédibles.

Non que Noir Béton soit exempt de tout défaut : on aurait sans doute pu faire l’économie de certains épisodes, comme l’interminable songe de Broadstreet sous champignons hallucinogènes. Mais dans le temps immobile instauré par cette langue massive, Eric Miles Williamson parvient à raconter une histoire, c'est-à-dire à faire craindre et prévoir un épilogue sur lequel, d’ailleurs, on se trompe. Noir Béton vaut donc autant par son propos, qui confronte le lecteur horrifié à une réalité à laquelle il a peine à croire, que par sa qualité littéraire ; l’un comme l’autre le placent à des années-lumière des deux pépites de la rentrée littéraire 2010 sur lesquelles j’ai perdu mon temps cette semaine.

Noir Béton, Eric Miles Williamson, 2006
Trad. Christophe Mercier

mercredi 12 janvier 2011

La fortune de Sila

Fabrice Humbert a eu au moins une bonne idée en écrivant la fortune de Sila : celle de donner au roman une construction en deux parties qui s’ouvrent toutes les deux sur le même incident dans un grand restaurant parisien. Le livre relate les trajectoires des personnages qui assistent à la scène : la première partie décrit leur itinéraire avant ce jour de 1995, la seconde les suit pendant quelques années après cet épisode. Le procédé permet de créer un lien entre des personnages qui n’en ont aucun puisque l’ambition du roman est d’évoquer la mondialisation financière au travers d’un oligarque russe, d’un sans-papiers africain, d’un ingénieur français embauché par une grande banque américaine et d’un entrepreneur américain reconverti dans le crédit immobilier.

Malheureusement, on cherchera en vain les autres bonnes idées de Fabrice Humbert. Ses personnages sont d’une coupable platitude, résultant d’un empilement hâtif de stéréotypes et donnant ainsi l’impression curieuse d’être extraits directement des romans de quelqu’un d’autre : Mark Ruffle, l’Américain, a l’air d’un personnage secondaire de Tom Wolfe, et les deux Français semblent pondus par une Fred Vargas prise d’aigreurs d’estomac, avec une mention spéciale au Polytechnicien puceau et à moitié autiste dont le trait de caractère le plus saillant (le seul, en fait) est son amour immodéré des appartements avec terrasse. Sila l’Africain, d’une innocence solaire, se distingue par sa rapidité à la course ; je soupçonne qu’il n’a même pas été nécessaire de pomper sur un autre auteur un aussi beau cliché. L’oligarque russe est peut-être le personnage le plus intéressant, encore que ses motivations, dans la deuxième partie, apparaissent de moins en moins crédibles.

Dans ces personnages de carton-pâte s’incarne un système de valeurs assez peu nuancé. Les personnages riches sont des salauds. Les pauvres sont des êtres de lumière. Les intellectuels doivent le rester et ne pas se vendre au grand capital. Quand on court après le pouvoir et l’argent, seule la défaite est rédemptrice. Amen.

La langue est à l’avenant : plate, infiniment plate, et cependant pas tout à fait assez plate pour que, comme chez Houellebecq, cette platitude ait un sens. Le problème est que Fabrice Humbert ne le fait pas exprès : personne, semble-t-il, ne lui a révélé par exemple que la pauvreté des dialogues pouvait être suppléée par un usage habile du discours indirect. Personne ne lui a suggéré non plus que l’abus de phrases à l’infinitif ou limitées à une proposition subordonnée sans principale avait quelque chose d’un peu lassant, pour ne pas dire pataud.

En lisant ce livre, je me suis à plusieurs reprises reproché mon propre agacement : après tout, quand Zola écrivait la Curée, lui aussi faisait la morale à la Bourse. Fabrice Humbert serait-il un Zola en devenir ? Ses dialogues au ras des pâquerettes apparaîtront-ils, dans deux générations, emplis d’esprit et de finesse ? Sa peinture du monde comme il va est-elle assez visionnaire pour qu’on excuse ses faiblesses d’écrivain ? J’en doute, à vrai dire.

La fortune de Sila, Fabrice Humbert, 2010

mardi 11 janvier 2011

France 1500

L’exposition France 1500 s’attache aux règnes de Charles VIII et de Louis XII, respectivement dernier des Valois directs et premier héritier couronné de la branche Orléans, tous deux successivement époux d’Anne de Bretagne. Elle présente une riche collection d’œuvres organisée en trois parties.

La première est consacrée à la rencontre entre le mécène et l’artiste. En regroupant les œuvres de certains maîtres autour des princes qui les ont commandées elle fait apparaître plusieurs berceaux artistiques (Normandie, Languedoc, Bourgogne, Bourbonnais, Anjou…) et, comme une carte géographique, propulse immédiatement le visiteur dans cette France du XVème siècle traversée et nourrie par l’axe ligérien. Les sujets sacrés y dominent très nettement : la peinture, le vitrail, la statuaire y sont abondamment représentés, dans une ambiance de cathédrale. On y déambule entre des Vierges à l’enfant de marbre, d’albâtre ou de pierre, aux yeux en amande et au visage lisse, qui prêtent à cette promenade leur sereine gravité. Les motifs de l’Annonciation, de la Descente de Croix ou de la Nativité y sont répétés à l’envi et les Vierges de pitié inclinent au dessus des visiteurs de longs corps voilés et ployés. Tout ceci est représenté avec une grande habileté technique: les formes des statues sont naturelles et soulignées par des drapés très souples. Le corps en fait semble apparaître sous la posture et le sensible sous le spirituel, comme en témoigne la statue gracieuse et sommairement vêtue de Sainte Marie l’Egyptienne.

Plus ardue, malgré la couleur qui flamboie jusque dans les enluminures de livres d’heures magnifiques, est la contemplation des tableaux et des images. Les peintres représentent des scènes évangéliques avec un luxe d’étoffes chatoyantes et de cuirasses luisantes (le cas échéant). Les portraits des mécènes se mêlent à cette imagerie : ils figurent le plus souvent humblement agenouillés, présentés par un saint qui se tient debout derrière eux. Les artistes semblent se donner beaucoup de peine pour que le sujet représenté n’échappe à personne; les personnages figurent au premier plan, le plus souvent bien au milieu du tableau, et les paysages qui apparaissent derrière et au-dessus de la scène principale, par une fenêtre ou à travers une galerie, comportent parfois des éléments étagés dans le temps aussi bien que dans l’espace qui fournissent une sorte de pense-bête au spectateur. Ainsi dans une représentation du Noli me tangere, le Christ ressuscité repousse Marie-Madeleine au premier plan, alors que le second plan révèle son tombeau vide et l’ange rouge qui monte la garde devant, et que le Golgotha domine le fond du tableau. J’ai eu quelque peine à me perdre dans ces compositions très didactiques, alors qu’au contraire on en contemple longuement et avec plaisir certains détails : corps, visages, étoffes sont sans raideur, même si leurs positions semblent tirées d’un répertoire assez formel.

La seconde partie de l’exposition s’attache davantage aux techniques et aux motifs ornementaux, pour montrer comment, sur des meubles, des émaux ou des tapisseries, coexistent les hérissements flamboyants d’un art gothique encore vivace et les rinceaux et couronnes à l’antique, premiers symptômes visuels de la Renaissance. Quant à la dernière étape de ce parcours, elle met en scène la rencontre en France de courants artistiques venant des Flandres et d’Italie. Faute de temps, j’ai parcouru un peu vite ces salles pourtant intéressantes car les sujets religieux y laissent partiellement place (comme de juste, sur des supports aussi triviaux que tables, coffres ou gourdes) à des thèmes profanes.

J’aurai donc, sans doute, assez peu compris de cette exposition accompagnée d’explications que je n’ai pas toujours trouvées très utiles – savoir de qui un peintre était l’élève, quand on a le malheur d’être assez ignorant des différentes écoles de l’époque, est sans doute moins stimulant que d’apprendre en quoi il est caractéristique de cette école. En revanche, il m’en reste l’impression d’avoir effleuré l’âme d’une époque encore baignée d’une spiritualité médiévale très concrète, encore habitée par les anges et les saints, au moment même où elle se retourne vers l’homme, annonçant au travers de représentations de plus en plus fidèles du règne matériel le très prochain désenchantement du monde. De ce tremblement entre deux univers l’exposition France 1500 a donné au béotien que je suis une perception plus intuitive que rationnelle; je n’ai pas finalement l’impression d’avoir perdu au change.

France 1500, entre Moyen Âge et Renaissance, Grand Palais

L'insomnie des étoiles

De Marc Dugain, j’aurais recommandé sans hésiter la Chambre des Officiers, et plus encore (parce qu’il est plus amusant) la Malédiction d’Edgar. Une exécution ordinaire m’a laissée plus perplexe, et je suis franchement déçue par l’Insomnie des étoiles. Comment un auteur capable, comme celui de la Malédiction d’Edgar, de transformer sa langue pour la mettre à l’unisson de ses personnages, de raconter une histoire imbriquant plusieurs récits rapportés sans jamais (dans mon souvenir) vaciller dans la cohérence des points de vue narratifs, peut-il s’être transformé du jour au lendemain en un hybride de Paulo Coelho et de Jean-Christophe Granger?

A Paulo Coelho (et je dis ça parce que je suis gentille et que je ne veux pas parler de Marc Levy), Marc Dugain semble avoir emprunté un titre à la fois cosmique et moralisant. Cosmique, vous me l’accorderez; moralisant, c’est lui-même qui le dit, puisque l’insomnie des étoiles est provoquée, nous révèle-t-il dans ses interviews, par leur consternation devant les agissements des hommes. Et pour rester dans le cosmique, son héros est bombardé astronome, bien qu’aucun rapport autre que métaphorique ne puisse être détecté entre cette précision et la matière de l’histoire. Il semble bien en l’occurrence que Marc Dugain se soit avant tout préoccupé de fournir au capitaine Louyre un peu de mystère, d’originalité et de détachement, à peu de frais : car de l’astronomie, on s’en doute, le lecteur n’entendra jamais parler dans ce roman. Du côté de l’autre personnage clé du livre, la jeune Maria, ce n’est pas plus brillant : malgré une remarquable entrée en matière, qui raconte plusieurs mois pendant lesquels elle semble être le seul personnage conscient dans une plaine en décomposition, elle perd très vite par la suite sa consistance et ne se caractérise plus que par une chevelure de Lorelei et un comportement peu conventionnel.

Jean-Christophe Granger n’eût pas renié, pour sa part, un style à la fois relâché et parfois inutilement ampoulé, qui se signale en particulier par une habitude très agaçante : celle qui consiste à désigner les personnages par un nom commun qui ne possède même pas l’excuse d’être un titre. Maria Richter est régulièrement appelée « l’adolescente » (pour le cas où on n’aurait pas enregistré son âge du premier coup). Outre que c’est ne pas faire grand crédit au lecteur, c’est aussi pour le moins maladroit quand le point de vue adopté est justement celui de Maria : ce changement abrupt et temporaire de subjectivité, qui conduit à la voir comme le ferait un observateur neutre alors qu’on partageait ses pensées à la ligne d’avant, fait un peu loucher le lecteur. Le capitaine Louyre souffre aussi d’erreurs du même tonneau: dans un passage qui le montre seul dans son bureau, on lit « on sentait chez lui… ». On? qui ça, on? Le point de vue est-il celui de Louyre, ou y a-t-il dans le bureau un autre personnage qu’on n’aurait pas remarqué jusque là? Ou, plus grave, Marc Dugain ne prête-t-il aucune attention à la cohérence de son système de narration?

Je suis donc fort déçue par cette Insomnie des étoiles, d’autant plus que je reste convaincue des remarquables qualités d'écrivain de Marc Dugain. Celles-ci sont perceptibles notamment dans la qualité des conversations de Louyre avec les Allemands, et dans celle de l’histoire elle-même qui, malgré toutes mes récriminations et nonobstant une fin franchement bâclée, s’avale en une heure et non sans plaisir.

L’insomnie des étoiles, Marc Dugain, 2010

mercredi 5 janvier 2011

Pride and Prejudice - Sense and Sensibility

Tout le monde a sa crise de Jane Austen une fois de temps en temps. D’habitude, je suis davantage portée sur les romans, mais pour une fois, n’ayant plus les livres sous la main, je me suis rabattue sur deux films : la version de 1995 de Sense and sensibility par Ang Lee et le Pride and Prejudice de Joe Wright (2005).

Pride and prejudice est mon Austen préféré, sans doute parce que la tendre perfidie de l’auteur pour ses personnages y fonctionne à double détente : Elisabeth Bennet n’est, elle non plus, jamais en retard d’une vacherie, dût-elle se contenter de la penser plutôt que de l’exprimer. De fait, son personnage domine largement le roman, et la distribution de l’adaptation était sans doute une opération à risques. Le résultat me paraît plutôt satisfaisant, Keira Knightley parvenant à rendre tant la fraîcheur d’Elisabeth que son caractère piquant ; il faut dire qu’elle est servie par une caméra langoureuse qui s’attarde sur elle à loisir dans des plans quelque peu convenus à mon sens (tels que la scène de la balançoire). L’on n’est pas trop gêné par le fait que les autres acteurs ne sont en rien inoubliables (en dehors peut-être de Donald Sutherland dans le rôle de Mr Bennet : affaire de goût sans doute, je ne l’ai cependant pas trouvé particulièrement renversant) puisqu’après tout c’est la même chose dans le roman : on pourrait regretter cependant que Wickham ne soit pas plus brillant. Quant à Darcy, il est dramatiquement quelconque, mais peu importe puisque c’est tout juste ce qu’on lui demande : il est censé être grand (il l’est) et expressif comme une huître (là aussi, c’est un succès). Cela n’empêche pas le spectateur de partager ses sentiments tout comme ceux d’Elisabeth, pour une part parce qu’on le voit par les yeux d’une Elisabeth toute troublée, la pauvrette – ainsi dans la scène ou l’objet de ce trouble marche à travers champs, coquettement débraillé, au petit matin – et surtout par la magie austenienne, qui veut que moins les sentiments s’expriment et plus l’émotion est intense, ce qui est fort commode dans certains cas.

Malheureusement, Joe Wright n’a pas su tenir jusqu’au bout la ligne de Jane Austen et le film souffre d’attaques de niaiserie ponctuelles, mais rédhibitoires. La scène de Pemberley où Elisabeth contemple le buste de Darcy (le buste !!) avec des yeux de merlan frit est une première alerte ; on croit ensuite pouvoir souffler, mais la fin du film est une catastrophe, avec soleil levant derrière les amoureux qui papotent seuls dans les prés humides, et main de Darcy baisée par Elisabeth. L’apogée est atteinte dans la scène finale avec un dialogue immortel des nouveaux mariés, que l’on croirait extrait tout droit des Feux de l’Amour. Tout ceci est confondant d’invraisemblance et de sottise, et torpille malheureusement le film sans espoir de rédemption.

A l’inverse, le Sense and sensibility d’Ang Lee est scénarisé avec finesse et habileté par Emma Thompson et se signale en outre par une distribution réussie : si Emma Thompson elle-même est un peu âgée pour le rôle d’Elinor, cela ne fait finalement que rendre mieux perceptible au spectateur l’avenir de vieille fille qui la menace. De Kate Winslet, boudeuse Marian, je ne dirais rien : je n’aimais pas Marian, de toutes façons, dont j’ai l’impression d’ailleurs qu’elle agace Jane Austen elle-même. Quant à Hugh Grant, il est forcément délicieux en amoureux empoté, mais l’habitude tue un peu le plaisir, en ce qui le concerne. En revanche, Alan Rickman prête avec bonheur au colonel Brandon son intéressante laideur : la paupière lourde, les traits épais et le cheveu en bataille ne font que souligner la délicatesse de sentiments de ce militaire au physique de prédateur. Son âge, sa boîterie, son maintien et sa mise pas très guillerets lui confèrent, dans cette guerre sentimentale, une vulnérabilité qui, alliée à une pudeur délicieusement virile, est à vrai dire tout à fait émoustillante. Son interprétation retenue fait d’un personnage peu loquace au sourire rare et aux apparitions relativement parcimonieuses le véritable contre-poids d’Emma Thompson ; si l’on souffre constamment pour l’une comme si l’on partageait son sort, c’est pour l’autre que l’on ressent les émois les plus vifs, et alors que l’on constate paisiblement les sentiments d’Edward et d’Elinor, on ne cesse de s’irriter de la sottise de Marian, incapable de reconnaître un homme, un vrai, quand elle l’a sous le nez. La scène finale, qui montre le mariage de Marian et du colonel, rend d’ailleurs justice à ce personnage qui passe, pour une mémorable occasion, au premier plan.

Dans l’ensemble, cette adaptation m’a paru assez fidèle à l’esprit du roman, notamment par l’équilibre permanent entre les versants comique et dramatique de l’histoire, qui repose sur une réjouissante galerie de personnages secondaires, mais également par la vraisemblance des attitudes. Foin des entrevues matinales en négligé: tout, sauf les incartades de l’horripilante Marian, se passe dans la plus grande correction, et les manières corsetées de tous ces amoureux rendent fort présentes au spectateur tant la contrainte sociale que l’intensité d’émois ainsi comprimés. La nécessité impérative de s’adresser à l’objet de son amour au moyen de phrases comportant au minimum une proposition subordonnée et un verbe du troisième groupe évite nombre de platitudes et confère à ce qui n’est pas dit autant de vigueur qu’à ce qui l’est : par comparaison, on se dit que les sentiments au cinéma (et peut-être les sentiments tout court) ont beaucoup perdu quand on s’est mis à se comprendre, et donc à se parler, à demi-mot.

Sense and sensibility, Ang Lee, 1995
Pride and prejudice, Joe Wright, 2005

mardi 4 janvier 2011

Pédagogies

Sur l’école, on peut tout lire et le contraire, en quantités abondantes. Mes propres choix de lecture traduisent évidemment un parti-pris d’ancien écolier heureux, de descendant d’un milieu socio-culturel privilégié, bref d’ « héritier » à la Bourdieu (que j’ai lu aussi, d’ailleurs, mais il y a un peu trop longtemps pour en avoir un souvenir très solide).

La littérature "anti-pédagogiste" dont relève l’essentiel de cette sélection très orientée est écrite à la première personne : il s’agit de témoignages, ce qui est assez normal, d’une part parce que les auteurs s’exprimant contre une institution sont amenés à le faire sur un ton… contre-institutionnel, d’autre part parce qu’ils écrivent tous mûs par une urgence qui leur vient de leur propre expérience d’instituteur, de formateur ou d’élève en IUFM. Le point de vue est, chez Boutonnet et Vermorel, celui du témoin perplexe, du « Persan » de Montesquieu avec toutefois un peu plus d’acrimonie ; chez Le Bris celui du manifeste positif, du professionnel militant pour des convictions assises sur une longue expérience. Le livre d’Isabelle Stal est le plus déroutant et le moins sympathique, dans la mesure où sa position manque totalement de la clarté et de la sincérité qui caractérisent celles des autres : Isabelle Stal est formatrice en IUFM et sa dénonciation des travers de l’institution sonne donc désagréablement puisqu’elle ne propose rien qui soit cohérent avec sa propre raison sociale… Elle est de plus la seule à reprendre dans sa totalité l’antienne réac qui est tant reprochée, à tort me semble-t-il, aux "anti-pédagogistes", trouvant le moyen dans le dernier chapitre d’établir des comparaisons entre les différentes sortes d’immigrés sur des bases sociologiques qui semblent assez minces («il suffit de voir, dans les restaurants chinois du XIIIème…»). Pourquoi ne pas faire ces comparaisons, si elles s’imposent : mais sur des sujets aussi sensibles, à juste titre, il est indispensable de s’appuyer sur des travaux sérieux et non sur des perceptions de café du commerce.

Ecrivant pour le grand public, dans l’espoir de provoquer une prise de conscience, les Le Bris, Boutonnet, Vermorel et consorts (sans oublier Brighelli, que je n’ai pas relu parce que ses titres sont racoleurs et sa thèse de la manipulation capitaliste me paraît sujette à caution) évitent le langage de spécialiste et éludent en fait assez largement la question des mécanismes mobilisés par l’apprentissage (à l’exception peut-être de Le Bris qui s’attache davantage à cette question en lien avec celle des programmes scolaires). C’est là un reproche qui peut leur être adressé et dont, de fait, les critiques ne se sont pas privés : en fait, souligne-t-on dans les milieux autorisés, tous ces livres témoignent d’une totale méconnaissance de la pédagogie scientifique. Le problème de cette critique est qu’elle me rappelle fâcheusement la réaction des croyants quand un athée hausse les épaules devant leur credo : ils s’indignent de ce que l’on n’ait pas étudié les textes sacrés, mais quel athée dans son bon sens passerait des heures à décrypter des textes procédant de prémices qu’il rejette ? Le point de départ que contestent de façon plus ou moins claire tous ces ouvrages est le dogme de l’école «centrée sur l’enfant».

L’idée que l’on se fait du débat, après avoir lu ces livres et regardé un film comme Entre les murs, par exemple, est qu’il existe deux grandes façons d’instruire : en ramenant le savoir à l’enfant, ou en imposant à l’enfant un décalage forcé, un oubli de sa propre personne, une confrontation avec un savoir, un langage, une pensée qui lui sont fondamentalement extérieurs. De la première option relèverait, par exemple, la démarche qui consiste à apprendre à reconnaître les prénoms des élèves de la classe, à rédiger et à présenter des textes sur des «évènements de vie» des enfants ; de l’autre celle qui s’attache à introduire des codes et des systèmes (le système décimal, par exemple) dans leur totalité, en tant que systèmes dotés d’une logique propre. Dans un cas, l’enfant est au centre d’une toile de connaissances qui s’élargit peu à peu comme celle d’une araignée; dans l’autre, il est au bas d’un escalier dont il escalade les marches progressivement.

Passons sur les implications pratiques de ces deux conceptions, que je ne maîtrise pas bien, encore qu’il me semble évident que la démarche qui présente les connaissances de façon organisée est nettement plus facile et plus rapide à mettre en œuvre (surtout quand, comme c’est généralement le cas à l’école, on a affaire à un groupe et non à un élève isolé) et également, de ce fait, moins frustrante intellectuellement pour l’élève. Il est vrai que je ne me fais pas une idée claire des difficultés que peut susciter l’hétérogénéité des classes, et de la qualité de la réponse que ces deux approches apportent aux élèves qui sont en retard. Un enfant qui, pour quelque raison que ce soit, ne parvient pas à aborder un concept présenté de façon systématique aura-t-il plus de facilité à l’aborder de façon expérimentale, par tâtonnement? Pour l’expérimental, sans doute : mais je ne vois pas ce qu’il y a là de contradictoire avec l’idée d’une présentation organisée et systématique des connaissances. Pour le tâtonnement, avec la meilleure volonté du monde, je ne comprends pas ce qu’il apporte et il me paraît même contre-productif, consommateur de temps et freinant l’organisation des connaissances. De toute évidence, la logique du « centrage sur l’enfant » n’est pas intellectuelle (pour structurer les connaissances, les rendre intelligibles) elle est d’abord affective: l’enfant apprend mieux s’il est concerné, s’il est impliqué, s’il est actif.

C’est là qu’à titre personnel, je renâcle. Sans remettre en cause ce postulat, je me demande si les termes en sont bien définis. Etre «actif», par exemple, implique-t-il obligatoirement d’être debout, ou en train de parler, ou d’avoir choisi son sujet d’étude? Être «concerné» implique-t-il obligatoirement que la leçon de lecture porte sur la vie quotidienne de l’enfant? Un enfant n’est-il pas capable d’être actif intellectuellement en écoutant une leçon? Ne peut-il se sentir concerné par la nécessité urgente et capitale de maîtriser le pluriel des mots en «ou»? Et en fait, le savoir lui-même, notamment tel qu’il se présente en primaire, comme ensemble fini, structuré et maîtrisable de notions éclairantes, n’est-il pas en lui-même le premier levier de mobilisation de l’enfant? Le désir de bien faire, d’être reconnu par le maître n’en est-il pas un autre, non moins puissant? Nier ce caractère motivant du savoir revient à déprécier ce savoir et, de fait, à démobiliser l’enfant qui l’aborde: s’il faut mettre un nez de clown pour intéresser un enfant à la grammaire, que pensez-vous que celui-ci puisse en conclure sur l’intérêt intrinsèque de la grammaire? Evidemment, tout ceci est généralisation : la sacralisation du savoir peut aussi, je n’en doute pas, produire l’effet inverse et en dégoûter l’impétrant, auquel cas le nez de clown sera un remède habile. Cependant, commencer par là me semble témoigner de peu de confiance dans ce que l’on enseigne, et dans l’enfant à qui on l’enseigne.

Au-delà ce doute, qui reste d’ordre pratique, sur ce qui est supposé motiver et mobiliser l’enfant, cette approche affective centrée sur l’univers (finalement assez pauvre) des enfants me répugne de façon beaucoup plus fondamentale par son caractère intrusif et manipulateur. Comment cela, manipulateur, me direz-vous? Parce que ce n’est pas manipulateur, peut-être, de compter sur le désir de bien faire et d’être reconnu par le maître, comme je le suggère ci-dessus? Eh bien, de fait, il me semble que la manipulation, dans ces deux attitudes, est de degré et de nature très différente, pour une raison simple: dans un cas, elle est bornée par de strictes limites. Que fait le maître qui sacralise le savoir et qui s’offre lui-même, ce faisant, au respect et au désir de plaire de ses élèves? Il institue une échelle de valeur univoque (c’est bien ce qu’on lui reproche, d’ailleurs, puisqu’avec cette échelle de valeur surgit la notion d’échec) dotée de deux grandes qualités: elle est externe à l’enfant, et elle est interne à l’école. Externe à l’enfant car elle n’émane pas de lui, elle existe par elle-même, sans rien de relatif: elle constitue donc un repère et un asile pour des enfants à qui c’est au contraire faire violence que de les contraindre à se prendre eux-mêmes et en permanence pour unique référence. Interne à l’école car elle n’évalue jamais que l’élève. Or l’enfant, comme il en prend normalement conscience à un moment ou à un autre, n’est pas que l’élève. Il peut souffrir, certes, de ce que comme élève il est mal noté : reste qu’il conserve une part essentielle qui n’est pas concernée par cette échelle de valeur et qui échappe complètement au maître. Sujet de scandale pour certains pédagogues (« [le maître] évacue cette intériorité et l’enfant ne reste qu’un élève, à faire avancer compétence par compétence, un élève découpé en morceaux de savoir-faire, et qui le plus souvent devient objet d’évaluation. Il ne pense pas, il travaille » comme l’écrit avec consternation Daniel Gostain, instituteur parisien, sur son blog), cette évasion de l’enfant «boîte noire» qui ne livre au maître que ses productions d’élève en gardant pour lui sa vérité de personne, me paraît être, en réalité, l’espace d’une liberté bien plus réelle que celle qui consiste à décider des règles de vie de la classe de façon démocratique. L’enfant conserve de fait la liberté de rejeter la valeur scolaire, celle de la contourner, de s’en désintéresser, l’espoir de la dépasser: en bref, il n’adhère pas entièrement, pour le plus grand bénéfice de sa santé mentale, à l’élève qu’il est. Supprimez cette liberté et la relation maître-élève, pour discret que soit le maître dans sa nouvelle posture de « personne ressource » ou de «boîte à outils», prend un caractère paradoxalement totalitaire.

Cette ambition totalisante du maître d’école dans les pédagogies actives se traduit par l'obsession des activités "citoyennes", à commencer par la pratique démocratique à l’échelle de la classe. Outre l’hypocrisie de la procédure (je doute fort que les élèves puissent de fait instituer n’importe quelle règle, par exemple plébisciter un dictateur dans leurs rangs), faire élaborer, voter ou évaluer par les élèves les règles de fonctionnement de la classe, c’est les propulser tête la première, à l’âge le plus tendre, dans le grand malaise de la démocratie : celui de constater la vacuité et la nullité de ce que produit la procédure démocratique, qu’il s’agisse d’émettre une opinion ou de se gouverner. Pascal et Montaigne ne pensaient pas à plusieurs, et les lois et règlements d’un Etat démocratique ne sont que trop rarement parcourues par un élan, une idée, une force enfin qui soit de nature à enthousiasmer le citoyen. Ce n’est pas pour autant qu’elles n’ont pas toutes chances, de par la procédure qui les engendrées, d’être à la fois les plus douces et les plus légitimes possibles: mais c’est peut-être une mince satisfaction, en tous cas pas de celles dont on peut se nourrir avant d’avoir atteint l’âge des compromis. Or ces règles si misérablement standard, si peu nouvelles, et potentiellement si peu efficaces puisqu’elles sont le fruit d’un compromis, l’enfant les a votées, il en est responsable, il n’a même plus la liberté de les mépriser! Là encore, faut-il à ces innocents imposer une telle violence? Où se réfugiera pour eux la capacité à construire leur identité propre ? Que nous a-t-il fallu à nous de guerres, de révolutions et de dictatures pour accepter le ronronnement de notre imparfaite démocratie?

Le dogme de l'école "centrée sur l'enfant", cela dit, n'est mis en oeuvre au sein de l'Education Nationale que cahin-caha, avec des concessions forcées au bon sens et aux habitudes. Malheureusement, il a la bonne conscience pour lui, ce qui, additionné aux facteurs institutionnels que mettent en lumière les témoignages sur les IUFM, lui confère un redoutable pouvoir de nuisance. Allez proposer maintenant de "centrer l'école sur le maître" (on comprend que cela n'excite personne) ou "sur la culture" ou le savoir, ou la connaissance: c'est impossible depuis que Bourdieu nous a révélé qu'une telle focalisation était inéquitable et, pour tout dire, de droite. Et ce n'est pas l'aspect le moins déroutant de cette question que l'on ne puisse, entre tenants d'opinions différentes, se faire au moins crédit de bonnes intentions.

Journal d’une institutrice clandestine, Rachel Boutonnet, 2003
La ferme aux professeurs, François Vermorel, 2006
L’imposture pédagogique, Isabelle Stal, 2008
Bonheur d’école, Marc Le Bris, 2009
Pedagost, le blog de Daniel Gostain, 2010