jeudi 20 janvier 2011

Kornwolf, le démon de Blue Ball

Tristan Egolf est déjà un auteur posthume, et c’est bien dommage. Après avoir commis l’ébouriffant Seigneur des Porcheries et un plus anecdotique Jupons et violons (que je n’ai pas lu et que je débine donc sans fondement, ce qui est mal), il s’est suicidé alors que Kornwolf n’était pas encore publié.

Kornwolf, comme le Seigneur des Porcheries, est une histoire de réprouvés : à l’image du John Kaltenbrunner de son premier roman, les personnages principaux de Kornwolf se distinguent par leur position sociale peu enviable. Owen Brynmor, journaliste sans emploi à l’éthique douteuse, et Ephraïm Bontrager, jeune Amish rendu muet par les mauvais traitements paternels, n’ont rien d’autre en commun que leur lieu de naissance, la Cuvette où s’étale la somnolente ville de Stepford et où, sans se rencontrer, ils sèment à eux deux une pagaille cataclysmique. Le lecteur les suit, non sans quelque peine parfois – les personnages sont nombreux et leur introduction sommaire – au fil d’un récit semi-fantastique qui convoque les archives des Amish de Pennsylvanie, leurs généalogies tortueuses et leur passé mouvementé, et s’autorise des détours à vue de nez totalement inutiles dans la vie quotidienne d’un entraîneur de boxe.

Ce mélange étonnant est plutôt réussi : on accroche à l’enquête d’Owen Brynmor sur les traces du démon de Blue Ball, et on ne peut qu’admirer le côté ethnographique de la plongée parmi les Amish. On retrouve aussi dans Kornwolf la violence narquoise qui était si frappante dans le Seigneur des Porcheries, où toute victime était ridicule avant même d’être pitoyable.

Cependant Tristan Egolf perd sans doute une part de son explosive puissance évocatrice en la fractionnant ainsi à travers les prismes de l’enquête et du fantastique et en diluant par la métaphore le caractère corrosif du personnage de Messie des réprouvés qu’il avait si remarquablement construit au travers de John Kaltenbrunner. Ephraïm Bontrager, si inquiétant qu’il soit, est ainsi très loin de posséder la dimension du Seigneur des Porcheries. Reste que Kornwolf est un roman atypique et prenant qui vaut, de toutes façons, la paire d’heures qu’on lui consacrera.

Kornwolf, le démon de Blue Ball, Tristan Egolf, 2006
Trad. Francesca Gee

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