J’ai donc été très surprise par le spectacle du Cirque du
Soleil : surprise dès l’entrée, par le rideau transparent tiré devant la scène
et orné de personnages qui à la faveur d'une variation de l'éclairage apparaissaient et disparaissaient parfois, tels le
chat du Sheshire, laissant par
moments deviner la scène éclairée par d’improbables lustres. Avant le début du
spectacle encore, les costumes des artistes circulant dans le public ont
démenti également mes prévisions : foin du traditionnel acrylique rouge et
jaune ! pas plus de vinyle noir que de lycra bleu électrique ! Des
couleurs claires un peu passées, de l’or terni, et des boutons, des galons, des
plis et des broderies : bref, non tant des costumes que d’étranges vêtements venus d’un passé
imaginaire.
Le spectacle lui-même s’appuie sur un fil conducteur – les funérailles
d’un vieux saltimbanque – qui vous projette d’entrée de jeu quelque part entre
le souvenir et le délire, dans un état où pour avoir été souvent rêvés de vieux
songes apparaîtraient soudain aussi réels – ou aussi peu – que des
réminiscences un peu usées. Et bon nombre de numéros sont fidèles à cette
logique et à la nécessité qu’elle sous-tend d’embellir le souvenir. Les
trapézistes tournoient dans les lustres – et qui n’a jamais eu envie, en
contemplant une de ces galaxies de pendeloques et de chandelles planant entre
sol et plafond, d’y grimper pour voir ? Les acrobates rebondissent sur
deux vastes lits et se lancent les oreillers – et dans nos batailles de
polochons, n’avons-nous pas nous aussi, il y a très longtemps, réussi de
magiques doubles sauts périlleux ? Une naine survole le public suspendue à
d’énormes ballons – et qui peut s’empêcher de penser fugitivement, à chaque fois
qu’il voit un enfant avec un ballon : « attention, tu vas t’envoler ! ».
Les jongleurs dans leurs costumes d’arlequins descendent à l’instant du mur d’une
nursery oubliée où ils pâlissaient sous le verre recouvrant leur gravure ;
et les interludes, pendant lesquels on réaménage la scène dans le noir, offrent
des instants suspendus comme les artistes qui traversent alors les cintres –
marchant tête en bas et chandeliers en main le long d’un fil ou pédalant dans les
airs sur une antique bicyclette.
Tous les numéros ne sont pas aussi évocateurs, mais même ceux
qui se rattachent moins facilement à ces vagues et merveilleux « déjà-vus »
sont remarquables de qualité technique et esthétique. Quant aux
performances des clowns, sujet généralement douloureux, elles sont étonnamment
supportables: la balle de golf fuyant l’ardeur du golfeur donne lieu à un
numéro farfelu et, à vrai dire, assez comique, et la représentation ratée de
Roméo et Juliette par un couple de nains, rythmée par les apparitions et
disparitions saugrenues des accessoiristes et du metteur en scène à travers les
coulisses et faux-plafonds du théâtre de poche, est également un bon moment.
J’ai éprouvé devant ce spectacle un plaisir d’autant plus
délicieux qu’il était complètement inattendu. Je recommanderais
chaleureusement, s’il n’était un peu tard pour le faire vu le calendrier des
représentations, cette plongée dans de très vieux songes un peu oubliés… rêvés
par nous ? par d’autres ? on ne sait plus.
Corteo, le Cirque du Soleil