mardi 20 décembre 2011

Beauté, Morale et Volupté

Une chose surprend dans l’exposition Beauté, Morale et Volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde : avec un titre pareil, je ne m’attendais pas à passer la moitié de mon temps à considérer des buffets et des théières. Pire : je crois que, pour ce qui est des tables basses et des échantillons de papier peint, j’aime encore mieux aller chez Ikea. Cela dit, j’admets bien volontiers être passée entièrement à côté du sujet ; je n’ai pas réussi à pénétrer l’essence du mouvement esthétique - l’amour de la beauté pour elle-même, que ce soit dans un tableau ou dans un pot à lait. Je n’ai pas été aidée par la mocheté des pots à lait, s’il faut me trouver une excuse.

Cette recherche de la beauté pure, d’une forme indépendante du fond, n’est à aucun moment effleurée par l’idée de l’abstraction ; elle se concentre sur la plastique des corps, des fleurs, des ornements, sur le jeu des couleurs, sur des constructions et surtout des cadrages audacieux, tout en brouillant volontairement la dimension narrative ou symbolique du tableau. Cela donne lieu à quelques fulgurances, comme l’Esther de John Everett Millais – quittant presque de dos un décor à l’antique assez sommairement construit, elle porte un magnifique, un émouvant manteau jaune qui concentre bizarrement tout l’affect de la scène – et à des œuvres fadement allégoriques ou d’une préciosité gratuite inspirée par le Quattrocento ; trop souvent, la tentative de déjouer l’interprétation se traduit par une certaine froideur, une sorte de vacuité du tableau qui devient décoratif.

On est de ce fait reconnaissant aux peintres qui choisissent la volupté, réintroduisant ainsi dans la peinture un sens qui se passe aisément de récit ; l’Etude aux plumes de paon de George Watts, avec son étalage direct et frontal de chair crémeuse, est sans doute l’une des œuvres les plus frappantes de l’exposition.

 Le sommeil, cette autre volupté, fait à plusieurs reprises le sujet d’un tableau ; chez Albert Moore (Solstice d’été), John William Waterhouse (Sainte Cécile)  ou Simeon Solomon (The Sleepers and the One Who Watcheth), les dormeurs entourés par les gardiens de leur sommeil offrent au spectateur l’impudeur de leurs visages sans regard et de leurs corps abandonnés, le rappelant, comme le fait la peau nue d’une femme offerte, à un présent qui écrase tout récit. Dans le Songe Eveillé de Dante Gabriel Rossetti, l’unique personnage est à la fois veilleur et dormeur, conscience et inconscience, soi et autre. Le trouble que l’on ressent devant ces tableaux, comme devant le manteau d’Esther, n’est de fait pas lié à un sens : comment ces dormeurs, ces rêveurs pourraient-ils porter un sens ?

A certains moments, devant certains tableaux, il m’a donc presque semblé que je comprenais ces artistes, poursuivant l’incertaine quiétude d’une beauté sans conscience. Hélas ! Pourquoi fallait-il ensuite, à nouveau, s’émerveiller devant un guéridon?

Beauté, Morale et Volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde, Musée d’Orsay

3 commentaires:

  1. Cette peinture me semble tellement déphasée par rapport à son époque! Et tellement bourgeoise. Un tableau de Manet de ces années-là me semble tellement plus moderne. Finalement, it's not my cup of tea, ce thé-là est trop dilué, trop insipide malgré quelques beautés alanguies pour un five o' clock.. Je reste avec Constable et Turner et oublie volontiers ces bonbons à la guimauve.

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  2. Je suis pas de votre avis. D'abord, évitons la critique de l'écriture bourgeoise (cf Barthes) sinon combien partiraient au panier? Dont ceux que tu cites, Gluer.S'opposant à l'ère victorienne dans un courant non seulement pictural mais aussi littéraire et romantique, les pré- raphaélites sont, pour moi, une tendance de l'Art Nouveau, non?
    C'est aussi l'affirmation de vivre cette langueur/ce plaisir de l'instant où le modèle/histoire a moins d'importance que le champ dans lequel on le goûte (cf représentation minutieuse des végétaux). J'y ressens une ambiance "vie au grand air" des Hippies et peut être une résonance au lien humain/nature de l’extrême orient.
    Donc non seulement ce courant me parait pertinent à son époque mais aussi plaisant que bien d'autres à revivre aujourd'hui.

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  3. Pour ma part j'ai tendance à voir les oeuvres ici et maintenant, de mon point de vue personnel à moi. Si bien que la pertinence par rapport à l'époque m'indiffère largement.

    Après, ayant certainement moi-même une mentalité bourgeoise (peut-être même "petite-bourgeoise", je ne me prononcerais pas) j'aime bien que les oeuvres me touchent, et pour le coup l'expo m'a paru inégale. Je n'y ai jamais justement perçu le "plaisir de l'instant", plutôt une inquiétude, une sorte de menace voilée qui s'exprime dans ces figures récurrentes des dormeurs et des veilleurs (pourquoi des veilleurs?). De fait, il y a un côté vaguement morbide dans ces représentations méticuleuses et absurdes, cet effacement du passé et de l'avenir.

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