Cette recherche de la beauté pure, d’une forme indépendante
du fond, n’est à aucun moment effleurée par l’idée de l’abstraction ; elle
se concentre sur la plastique des corps, des fleurs, des ornements, sur le jeu
des couleurs, sur des constructions et surtout des cadrages audacieux, tout en
brouillant volontairement la dimension narrative ou symbolique du tableau. Cela
donne lieu à quelques fulgurances, comme l’Esther de John Everett Millais –
quittant presque de dos un décor à l’antique assez sommairement construit, elle
porte un magnifique, un émouvant manteau jaune qui concentre bizarrement tout l’affect
de la scène – et à des œuvres fadement allégoriques ou d’une préciosité
gratuite inspirée par le Quattrocento ; trop souvent, la tentative de déjouer l’interprétation
se traduit par une certaine froideur, une sorte de vacuité du tableau qui devient
décoratif.
On est de ce fait reconnaissant aux peintres qui choisissent
la volupté, réintroduisant ainsi dans la peinture un sens qui se passe aisément
de récit ; l’Etude aux plumes de paon de George Watts, avec son étalage
direct et frontal de chair crémeuse, est sans doute l’une des œuvres les plus
frappantes de l’exposition.
Le sommeil, cette
autre volupté, fait à plusieurs reprises le sujet d’un tableau ; chez
Albert Moore (Solstice d’été), John William Waterhouse (Sainte Cécile) ou Simeon Solomon (The Sleepers and the One
Who Watcheth), les dormeurs entourés par les gardiens de leur sommeil offrent au
spectateur l’impudeur de leurs visages sans regard et de leurs corps abandonnés,
le rappelant, comme le fait la peau nue d’une femme offerte, à un présent qui
écrase tout récit. Dans le Songe Eveillé de Dante Gabriel Rossetti, l’unique
personnage est à la fois veilleur et dormeur, conscience et inconscience, soi
et autre. Le trouble que l’on ressent devant ces tableaux, comme devant le
manteau d’Esther, n’est de fait pas lié à un sens : comment ces dormeurs,
ces rêveurs pourraient-ils porter un sens ?
A certains moments, devant certains tableaux, il m’a donc
presque semblé que je comprenais ces artistes, poursuivant l’incertaine
quiétude d’une beauté sans conscience. Hélas ! Pourquoi fallait-il ensuite, à
nouveau, s’émerveiller devant un guéridon?
Beauté, Morale et Volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde,
Musée d’Orsay
Cette peinture me semble tellement déphasée par rapport à son époque! Et tellement bourgeoise. Un tableau de Manet de ces années-là me semble tellement plus moderne. Finalement, it's not my cup of tea, ce thé-là est trop dilué, trop insipide malgré quelques beautés alanguies pour un five o' clock.. Je reste avec Constable et Turner et oublie volontiers ces bonbons à la guimauve.
RépondreSupprimerJe suis pas de votre avis. D'abord, évitons la critique de l'écriture bourgeoise (cf Barthes) sinon combien partiraient au panier? Dont ceux que tu cites, Gluer.S'opposant à l'ère victorienne dans un courant non seulement pictural mais aussi littéraire et romantique, les pré- raphaélites sont, pour moi, une tendance de l'Art Nouveau, non?
RépondreSupprimerC'est aussi l'affirmation de vivre cette langueur/ce plaisir de l'instant où le modèle/histoire a moins d'importance que le champ dans lequel on le goûte (cf représentation minutieuse des végétaux). J'y ressens une ambiance "vie au grand air" des Hippies et peut être une résonance au lien humain/nature de l’extrême orient.
Donc non seulement ce courant me parait pertinent à son époque mais aussi plaisant que bien d'autres à revivre aujourd'hui.
Pour ma part j'ai tendance à voir les oeuvres ici et maintenant, de mon point de vue personnel à moi. Si bien que la pertinence par rapport à l'époque m'indiffère largement.
RépondreSupprimerAprès, ayant certainement moi-même une mentalité bourgeoise (peut-être même "petite-bourgeoise", je ne me prononcerais pas) j'aime bien que les oeuvres me touchent, et pour le coup l'expo m'a paru inégale. Je n'y ai jamais justement perçu le "plaisir de l'instant", plutôt une inquiétude, une sorte de menace voilée qui s'exprime dans ces figures récurrentes des dormeurs et des veilleurs (pourquoi des veilleurs?). De fait, il y a un côté vaguement morbide dans ces représentations méticuleuses et absurdes, cet effacement du passé et de l'avenir.