mardi 13 décembre 2011

On Being Certain

La recherche américaine sur l’esprit humain produit des choses véritablement passionnantes et qui éclairent d’une lumière nouvelle les questions métaphysiques et éthiques. Je suis depuis un certain temps tracassée par l’idée de conviction, qu’il s’agisse de morale, de politique ou de religion (pour autant que ces trois sujets soient véritablement disjoints, mais c’est une autre question). Que j’écoute la radio ou que je lise le journal, et a fortiori les commentaires des lecteurs sur les sites de presse, je m’étonne toujours de l’animosité de chaque intervenant envers qui exprime une opinion différente : le contradicteur est systématiquement soupçonné d’être de mauvaise foi, ou gouverné par des intérêts personnels qu’il ferait passer avant toute conviction. Or, le fait même que cette attitude soit universellement répandue conduit à douter qu’elle soit justifiée, car enfin pour accuser l’adversaire de mauvaise foi, il faut se sentir bien sûr de sa propre bonne foi et de l’invincibilité de ses arguments, J’en conclus (peut-être hâtivement) que la grande majorité des politiques, des clercs et des journalistes sont d’une candide sincérité, d’où leur incapacité fondamentale à accepter la contradiction et leur argumentation impudemment malhonnête – qu’importent quelques raccourcis si l’on sait que de toutes façons on a raison ? Et naturellement, étant moi-même fréquemment prise à rebrousse-poil par ce que j’entends (écoutez Radio Courtoisie et vous comprendrez ce que je veux dire), je m’interroge sur la validité de ma propre réaction : être indigné signifie-t-il que l’on ait raison de l’être ? Et plus généralement, être certain de quelque chose signifie-t-il que l’on a raison ?

Bref, On Being Certain était donc tout justement le livre qu’il me fallait. Au prix de quelques anecdotes oiseuses sur sa vie personnelle (compensées il est vrai par un ou deux passages franchement comiques) le neurologue Robert Burton fournit à cette question une réponse que l’on pourrait résumer ainsi : « pour autant que je puisse en être certain, je dirais que non ». Chemin faisant, il donne un aperçu de la façon dont le cerveau traite les informations sans en être conscient, réorganisant le déroulement du temps pour lui rendre une cohérence malmenée par les délais de transmission de l’information par les neurones ou réagissant à une lumière qui n’a pas été « vue » consciemment en raison d’une défaillance du cortex. Il s’appuie sur le modèle du réseau neuronal pour décrire ces processus inconscients comme des délibérations de comités de neurones dont les réponses individuelles, pondérées par la fréquence et l’intensité des expériences associées à l’expérience immédiate en cause, déterminent la réaction et notamment la transmission d’un signal à la conscience. (Si vous n’avez rien compris à cette phrase, sachez que moi-même, en la relisant, je me sens vaguement perplexe). Enfin, il fait un appel un peu réticent aux stratégies adaptatives pour justifier l’idée d’un « feeling of knowing » qui, tout comme la douleur est une sensation du corps qui l’incite à retirer sa main de l’intérieur du four, serait une sensation de l’esprit agréable quoique potentiellement erronée, provoquant en tous cas une saine réaction (en l’occurrence, l’appétit pour l’apprentissage). Pour finir, et après s’être interrogé sur la notion de « moi » - encore une ruse adaptative de notre machiavélique génome – Robert Burton a l’élégance de proposer une conclusion pratique en incitant son lecteur à recourir systématiquement au verbe croire plutôt qu’au verbe savoir, afin de se rappeler perpétuellement que son opinion, pour fondée et arrêtée qu’elle soit, ne se prouve pas elle-même. Il faut entendre, évidemment, « croire quelque chose » (c'est-à-dire estimer que les probabilités sont en faveur de ce que l’on affirme) et non « croire en quelque chose » (c'est-à-dire considérer qu’une puissance surnaturelle infligera des supplices éternels à qui professe une opinion différente).

On a toujours plaisir à lire un livre qui contribue à notre propre débat intérieur. De plus, Robert Burton est un bon vulgarisateur au style alerte, et son livre est facile d’accès et d’une lecture agréable. Il m’en restera toutefois de nouvelles questions d’ordre pratique. Si mon inconscient pense à mon insu, je me trouve intéressée à agir sur lui : par quelles voies, par quels rites, par quelles images ?

On Being Certain, Robert A. Burton, 2008

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