lundi 19 décembre 2011

Peau d'Ane


J’ai regardé Peau d’Âne, comme il se doit, avec mes enfants ; c’est certainement la configuration idéale pour apprécier ce que ce film a de délicieusement pervers. Les deux chérubins étaient bouche bée devant les costumes insensés, les décors outrageusement féériques, et toutes ces trouvailles merveilleuses – au sens premier – qui rendent le film à la fois lisible et poétique. Les visages bleus des serviteurs, témoignant à la fois de leur allégeance et de leur insignifiance ; la forêt (enchantée, naturellement) qui envahit le château d’insidieuses langues de lierre et d’absurdes cerfs empaillés ; la mélodie  élémentaire et lancinante chantée par la princesse encore innocente et qui fait le thème musical de tout le film ; et Peau d’Âne courant à grandes enjambées silencieuses et glissantes dans un temps arrêté, à travers une cour de ferme peuplée de vivantes statues …

Pour ma part, je ne me suis pas plus ennuyée qu'eux, mais sans doute pour d’autres raisons, étant probablement plus sensible qu’un marmot de sept ans à l’insondable dépravation de cette friponne de Peau d’Ane, à l’impudente coquetterie de la marraine fée et à la lubricité pateline de Jean Marais. Pour tout dire, Deneuve dans Peau d’Âne est exactement la même que dans Belle de Jour ; belle et vulnérable à croquer, et complètement tordue. Elle aura décidément beaucoup fait pour le mythe de l’éternelle Eve. 

Il n’empêche : de cinq à trente-sept ans, nous avons tous assisté avec émerveillement à la révélation de Peau d’Âne. Elle a beau être une dévergondée de première classe, la robe couleur de soleil fait son petit effet. Quel drôle de film où l’on est un instant tout ému par des personnages pourtant joyeusement immoraux…

Peau d’Âne, Jacques Demy, 1970

2 commentaires:

  1. La Peau d'Âne d'origine, celle du conte de mon enfance, était loin d'être une dévergondée. C'était une jeune fille qui essayait d'échapper à l'inceste.

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  2. Oui, et le film est assez fidèle au conte, d'ailleurs; cela dit, par quelques torsions minimes (Peau d'Ane hésitant à céder à son père ou attirant le prince sciemment dans ses filets) et par le climat général du film (plutôt goguenard, notamment à cause de la marraine fée qui est loin de prendre les choses au tragique), Jacques Demy réussit cette performance de montrer aux enfants une jeune fille innocente et aux adultes une sorte d'ingénue libertine. Ou alors c'est moi qui suis complètement tordue?

    En tous cas, j'ai trouvé ça drôle, et d'ailleurs pas dépourvu de sens: on peut imaginer que le désir d'un père modifie les repères et le comportement de la fille qui en est l'objet, même si elle s'efforce de s'y soustraire.

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