Il n’est pas facile de parler de ce film tant le réalisateur s’y fait oublier; je ne me suis pas sentie installée devant une œuvre, mais projetée au milieu de l’histoire douloureuse de Nader et Simin. Je m’en trouve, de fait, fort embarrassée pour disserter mise en scène et ressorts narratifs. Toute la prouesse d’Asghar Farhadi se résume à ceci: ce film a l’air vrai.
Est-ce l’image, avec ses couleurs dominantes, un peu bistre, un peu grise, qui restituent l’impression d’usure et d’imperfection que revêt toujours la réalité (surtout, est-on tenté de se dire, en Iran, où elle est peut-être plus usée qu’ailleurs)? Est-ce le choix des plans, resserrés, dépourvus d’emphase, et toujours embouteillés par beaucoup de gens, de meubles ou de voitures, si bien qu’on étouffe dans ce film comme dans une grande ville mal aérée?
Au-delà des partis-pris visuels, les acteurs, impressionnants de naturel, ne révèlent rien directement de leur personnage et laissent au scénario le soin de les tourner et de les retourner, par un jeu d’ellipses, de scènes cachées ou interrompues dont une information manquante renverse le sens, pour faire apparaître, peu à peu, leur cohérence et leur opacité. Comme face à un être humain véritable, on connaît de mieux en mieux les personnages et on doit, dans le même temps, se résoudre à l’idée qu’on ne les connaîtra jamais entièrement.
Le scénario est construit autour d’une énigme sans détective et fait peser sur le spectateur la responsabilité de l’enquête et du jugement moral; l’enjeu de ce jugement est matérialisé par le regard de Termeh, la fille de Nader et de Simin, dont le verdict sur le comportement de son père est lié au choix douloureux qu’elle doit faire entre ses parents. Le poids de ce regard encore enfantin, à la fois impitoyable et brouillé par l’amour filial, forcément incapable de juger sereinement, renvoie le spectateur à ses propres ambigüités, à sa propre incapacité à juger moralement une situation de laquelle il est pourtant parfaitement détaché. Plus encore que l’habileté des prises de vue ou que la remarquable performance des acteurs, c’est l’effacement du bien et du mal au profit de l’amour et de la douleur qui confère à Une Séparation cette véracité opiniâtre qui prend le spectateur à la gorge.
Une séparation, Asghar Farhadi, 2010
mercredi 31 août 2011
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