Un bon moyen de mettre un auteur à l’épreuve est de lire à la suite deux de ses romans. En ce qui concerne Jean-Christophe Grangé, le test est concluant: je n’ai même pas réussi à finir le deuxième. Si l’intrigue est toujours ficelée avec minutie, les ressorts dramatiques finissent par rouiller à l’usage. Les héros de Grangé, suffoquant uniformément sous le poids d’un passé insupportable, entreprennent une quête exotique à la poursuite d’un meurtrier animé par le Mal absolu. Celui-ci se manifeste par une cruauté esthétisante exigeant une débauche de moyens et de compétences, le modus operandi du tueur pouvant mobiliser selon les cas un hélicoptère, un bloc opératoire et des compétences pionnières en chirurgie cardiaque, ou un talent unique pour l’apnée et un pot de miel hémostatique thaïlandais.
Outre le caractère totalement gratuit de ces fantasmes de romancier, le lecteur finit par être terriblement agacé par ce qui peut être interprété en creux comme une banalisation du mal ordinaire. En quoi le déploiement d’une imagination littéralement dantesque pour faire souffrir son prochain, non sans inscrire, paradoxalement, ces rituels sanguinaires dans une quête de rédemption et de purification comme le font les tueurs de la Ligne Noire et du Vol des Cigognes, rapproche-t-il davantage du mal absolu que l’usage quotidien et monotone d’un bête gourdin sur les côtes et les phalanges d’une épouse ou d’un rejeton sans défense?
A ce lyrisme visuel de film d’horreur Grangé superpose son lyrisme tout court, alternant les périodes alambiquées et des rafales de simili-phrases de quatre mots dépourvues de verbe, censées fonctionner, sur le principe du marteau-piqueur, par impacts bruyants et répétés. Il truffe ses pages de références à des chocs et à des fractures définitives pour évoquer des réactions aussi courantes que la surprise ou la frayeur (ainsi « mon esprit vola en éclats » signifie que l’on est étonné). On retrouve aussi dans ses phrases des métaphores tortueuses et gratuites qui rappellent celles qui m’ont tant agacée chez Yasmina Khadra – et que l’on pouvait toujours, chez ce dernier, mettre sur le compte des influences culturelles d’un Moyen Orient que l’on suppose grandiloquent; Grangé n’a pas cette excuse.
Certains tics de langage enfin vous donnent envie au bout d’un moment de lancer le livre par la fenêtre, le plus agaçant de tous étant la terreur des répétitions qui, honorable quand elle s’applique aux noms communs, devient ridicule quand il s’agit des noms propres. Là où d’autres obsédés de la répétition recourent à une collection de périphrases pour initiés, Jean-Christophe Grangé, moins inventif, choisit une fois pour toutes d’user d’une alternance métronomique entre le nom du personnage et sa nationalité. Ce qui donne des résultats souvent peu naturels et parfois ridicules: ainsi, quand un médecin rom commente l’autopsie d’un cadavre rom et conclut «le Rom est mort de souffrance». C’est un peu comme si je parlais de Grangé en l’appelant «le Français».
Je devrais donc être définitivement guérie de Grangé. Mais comme on oublie ces livres presqu’aussi vite qu’on les lit, je m’avertis pour la prochaine fois: ne plus lire de romans de Grangé !
Le vol des cigognes (1994) – La ligne noire (2004), Jean Christophe Grangé
jeudi 7 octobre 2010
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