Piotr a huit ans. Fils d’une Juive et d’un Polonais condamné au goulag, il vit avec sa mère et sa grand-mère assignées à résidence au fin fond de la Sibérie. Les Neiges bleues décrit, en une succession de courts chapitres à l’épilogue abrupt, son cheminement accéléré vers l’âge adulte à travers les disparitions successives de ses grands-parents, de son père et de sa mère.
Enfermé dans un univers matériellement hostile, entre le froid, la faim et les pressions des fonctionnaires du NKVD qui s’entretuent pour les beaux yeux de sa mère, Piotr, qui raconte l’histoire à la première personne, ne s’attarde guère sur les difficultés du quotidien, pas plus que sur le chagrin de ces morts successives. C’est à travers les fins tragiques de ses amis Kolia et Kim, les orphelins qui disparaîtront dans leur recherche éperdue d’un père ou d’une mère, que cette douleur apparaît le plus nettement ; c’est peut-être parce que c'est par ce truchement qu’elle est exprimée le plus facilement.
Cette réalité brutale, vue au ras du sol sans trop de précisions sur son organisation administrative ou économique, est transfigurée et expliquée par l’Olympe qui la surmonte : le Dieu de la Bible et des Béatitudes, le poète Lermontov, et la figure diabolique et omniprésente de Staline aident Piotr à interpréter la sauvagerie du monde qui l’entoure et à s’y donner un rôle et un destin. Piotr se voit poète, enfant du peuple élu, et double sa route jalonnée de morts d’un chemin de défis symboliques au Diable et à ses séides. Par ces actes (le maquillage du buste de Staline, la déclaration d’amour cousue à son tricot, l’érection de la tombe de Kolia…), Piotr le déporté de huit ans cesse très vite de subir et devient acteur et conquérant ; c’est ce qui, par une sorte de justice poétique, le fera remarquer de la femme qui le sauvera de l’orphelinat et du goulag.
Ecrit dans une langue alternativement rêche et emphatique, les Neiges bleues agacerait par son ton puéril si l’on n’y entendait pas précisément la voix d’un gamin loqueteux et combatif. Tel quel, c’est un livre surprenant sur la capacité des hommes – même tous petits – à se servir de mythes pour se forger une personnalité et un destin.
Les neiges bleues, Piotr Bednarski, 1996 - traduction Jacques Burko et al.
vendredi 8 octobre 2010
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire