L’exposition des toiles de Monet au Grand Palais est construite, à l’image de la vie du peintre, comme une promenade. On y vagabonde de la forêt de Fontainebleau à la côte normande, de Bougival à Argenteuil, de la Gare Saint Lazare au Pont-Neuf, d’Antibes à Vétheuil et de la Creuse à Belle-Île ; avant Giverny, quelques échappées déjà monomaniaques vers la cathédrale de Rouen, la Tamise à Londres et les palais vénitiens ; puis ce sont à Giverny des errances rétrécies, d’immenses toiles pour de minuscules perspectives : le jardin, le bassin aux nymphéas, quelques pétales dans l’eau…
Certes la manière de Monet change tout au long de ce périple : on voit apparaître dans les eaux de la Grenouillère la fragmentation de la lumière qui envahira peu à peu toute l’œuvre du peintre, et l’on peut suivre également l’évolution de sa palette. Bruns, ocres et verts à Fontainebleau, bleus et rouges des jardins fleuris devant la mer normande, roses, bleus et ors de la Méditerranée, et surtout ces mauves et ces oranges qui apparaissent lors de la débâcle à Vétheuil et qu’il ne lâchera plus ensuite ; quelquefois une surprise – la capeline rouge vif de Camille derrière une porte, le bleu Van Gogh d’une régate à Argenteuil ; et ces trouées crémeuses et denses de jaune et de blanc qui se coulent entre les arbres du Pavé de Chailly, qui rebondissent sur les ombrelles de Sainte-Adresse et les robes des Femmes au jardin, qui éclaboussent les scènes hivernales, jusqu’à envahir entièrement certains tableaux comme la Pie ou l’effet de neige à Giverny.
Ce qui ne change pas en revanche, immédiatement sensible dès ces premières vues de la forêt de Fontainebleau, c’est la brutalité de cette peinture aux cadrages agressifs qui tantôt collent au nez du spectateur un paysage omniprésent et sans ciel, tantôt, libérant le regard par un ciel réouvert, plantent au milieu du tableau un signe, soleil rouge ou arbuste tordu, qui hurle littéralement « regarde moi ! », tantôt enfin imposent une construction si tenacement soulignée qu’elle confine à l’abstraction, comme dans les Déchargeurs, dans les vues du pont d’Argenteuil ou dans la rue Montorgueil pavoisée.
Car l’œil qui regarde la peinture de Monet n’est pas, comme au XVIIème siècle, un lieu géométrique où se croisent les lignes de fuite, voué à rester à distance d’un tableau qui lui est essentiellement extérieur. Monet s’adresse à cet œil comme à une surface palpitante et poreuse qui entre en contact avec le tableau, absorbe la buée rose d’un bras de Seine, le silence et le froid qui montent des glaçons charriés par la débâcle, le crissement de la neige, le tremblement de la lumière – et aussi le frisson de la peau sous l’air tendre du matin, la laine odorante d’un chandail un peu humide aux poignets, le repas à venir et la pomme encore intacte. Cette chute tête la première dans l’instant, c’est bien le projet de Monet qui par un heureux raccourci l’a exprimé lui-même dans le titre, devenu manifeste, du tableau emblématique (et d’ailleurs absent de cette exposition) Impression, Soleil Levant. C’est ce sur quoi il se concentrera toujours davantage à mesure qu’il délaissera les changements de cadre pour s’adonner aux séries : cathédrale, peupliers, meules, peu importe le sujet – seul compte l’instant, sa lumière fugitive et unique, mise en évidence par son inclusion au milieu d’une série d’autres instants.
Il est difficile de s’arracher à la fascination de ces instants, et l’on quitte Monet au bout d’une heure avec au cœur une nostalgie passionnée ; sans doute parce qu’au-delà du pur plaisir des sens, il illustre une forme de justification tautologique de l’existence – la seule, au fond, qui vaille. Exister ! être encore, le plus longtemps possible, ce puits où ruissellent la lumière, l’air et la couleur…
Monet au Grand Palais
samedi 2 octobre 2010
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