Ce livre m'a été conseillé par un habitué de ces lieux, qui en fait le commentaire suivant:
"Malgré l'heure tardive, je ne peux pas dormir. Il faut que je continue à lire. J'ai acheté De bons petits soldats cet après-midi, sans en avoir jamais entendu parler. Chacun des rangers dont le mandat en Irak est relaté dans ces pages a vécu plus, parfois en une seule journée, que ce que n'importe quel soldat du mandat afghan auquel j'ai participé a vu en cinq mois.
Passé un petit temps d'adaptation dû à une étrange lubie du traducteur, qui s'obstine à traduire tous les sigles et acronymes et me les rend ainsi aussi étrangers que leur version originale m'est familière, je vois ma minuscule expérience s'imbriquer dans la GWOT bushienne.
Je revis tout, tant le récit est précis : les contacts avec les homologues afghans dont on ne sait jamais qui ils servent vraiment, les palabres irréelles sur le menu détail des tracas quotidiens, l'intimité violée des "locaux" quand débarquent les Robocops, la consternante nullité des soi-disant frères d'armes autochtones, les signes de la main des gamins, le choc des pierres lancées sur notre passage, les kilomètres parcourus sur des routes et des pistes régulièrement piégées, la montée d'adrénaline à chaque fois qu'un local manipule son téléphone portable à notre vue, les déflagrations seulement à moitié réelles des obus qui explosent à quelques dizaines de mètres, le regard incrédule échangé avec mon pilote après qu'une roquette nous a survolés comme un gros insecte mou, l'odeur de la ville submergée par les ordures, les véhicules qui versent de nuit parce que le pilote, dans son intensificateur de lumière, n'a pas vu un trou, les convois énormes qui se mettent en branle avant les premiers rayons du soleil, et tant d'autres choses...
On m'a récemment proposé de retourner en Afgha. J'ai dit "OK, mais le lieutenant X, ici présent, n'a aucune projection à son actif, et lui et moi on pense que ce serait bon pour lui d'y goûter". J'ai aussi dit que j'avais peur d'y retourner.
La guerre est une chose bien étrange, et un mec qui s'engage volontairement pour la faire en est une autre. Surtout quand il en revient vivant. Ceux au nom de qui certains se battent DOIVENT s'en rappeler.
Accessoirement, un soldat français ne peut, à la lecture de ce bouquin, s'empêcher de se demander où nous mènera la quête, actuellement plus frénétique qu'à aucune autre époque, d'interopérabilité avec les camarades américains. Il est déjà arrivé que notre armée endosse les uniformes et serve les matériels du cousin d'Amérique, mais à ma connaissance, jamais nous ne nous étions laissé aller à adopter aussi tous leurs modes d'action, et jusqu'à leur langage. Le mot "supplétifs" qu'emploient à l'envi les commentateurs les plus critiques n'est pas inapproprié. De cela aussi, les Français doivent être bien conscients."
Pour ma part, j'ai été également captivée par De bons petits soldats, qui m'a rappelé par de nombreux aspects Band of Brothers de Stephen Ambrose, ce livre racontant l'histoire de la Easy Company des plages de Normandie jusqu'à Berchtesgaden. Le désarroi et l'usure des hommes et des cadres devant la mort, le temps arrêté qui caractérise les longues rotations américaines - les soldats du 2-16 suivis par David Finkel restent quinze mois en Irak; les GIs de la Easy Company étaient en Europe jusqu'à la mort, ou jusqu'à la victoire -, l'arrière-plan de la vie civile américaine avec ses valeurs Colgate se retrouvent dans l'un et l'autre livre.
La différence majeure n'en est que plus saillante: les soldats de la Easy Company, eux, avancent. L'ennemi est devant eux. De là à dire qu'ils comprennent pourquoi ils sont en Europe, il y a évidemment un pas; il n'empêche que la fracture, pour eux, avec un monde civil qui peut au moins les suivre sur la carte, semble moins profonde que pour les hommes du 2-16 empêtrés dans les tas d'ordures explosifs de Bagdad - Est.
Ralph Kauzlarich, l'incurable optimiste qui commande le 2-16, fait pendant quinze mois le grand écart au dessus de cette fracture: au beau milieu de la réalité quotidienne des déplacements mortels sous un soleil de plomb, entre les égoûts à ciel ouvert et les engins explosifs improvisés, il s'efforce honnêtement de rappeler aux hommes terrifiés et découragés, comme aux Irakiens hostiles ou indifférents, le sens de leur mission de pacification.
Malgré toute sa conviction, le malheureux lieutenant-colonel ne persuadera pas le lecteur, qui referme le livre avec l'impression déplaisante que les forces armées ne sont pas à leur place dans un merdier comme l'Irak ou l'Afghanistan (ou le Viêtnam). Les morts du 2-16, et même les survivants, apparaissent comme autant de victimes sacrifiées à une cause perdue. Mais que faire d'autre?
De bons petits soldats, David Finkel, 2010
Traduction Jean-Paul Mourlon
lundi 23 août 2010
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