Le Ruban Blanc est la chronique d’un village allemand entre l’été 1913 et l’été 1914. Le pasteur, le médecin, le Baron et son régisseur sont les notables de cette petite communauté écrasée, dans ses vêtements sévères et ses chambres sombres, entre la plaine blanchie de neige ou de lumière et le ciel immense. Les enfants sont élevés à la trique, les jeunes filles sont pétrifiées par la crainte du qu’en dira-t-on, les pères de famille que l’on soupçonne d’insubordination sont acculés au suicide. Bref, tout cela respire la joie de vivre. Et voici que surviennent une série d’évènements violents et inexpliqués: des attentats contre le médecin, le fils du Baron, celui de la sage-femme…
Qui commet ces méfaits ? le film s’achève au moment de la déclaration de guerre, sans que la question ait été vraiment élucidée. Le spectateur est invité à conclure que ce sont les enfants du village qui se vengent ainsi, de façon méthodique et inexplicable, de la violence que leur infligent les adultes. Méthodique, car ils ne sont pas démasqués et opposent à ceux qui les interrogent un front serein et têtu; Klara, la fille aînée du pasteur, se fait leur porte-parole et ne démord jamais d’une version minimaliste des évènements. Inexplicable, car on ne comprend jamais très bien de quoi, précisément, ils se vengent. En effet, dans le Ruban Blanc, la faute importe beaucoup moins que le châtiment. La faute est mystérieuse, mal définie, elle se perd, elle n’est pas montrée: ainsi la cause de la correction que reçoivent Klara et Martin au début du film n’a-t-elle, au fond, aucune importance. Ce caractère contingent de la faute et du fauteur apparaît de nouveau lorsque le fils du métayer dont la femme est morte dans la scierie du Baron tente de discuter avec son père de la responsabilité du Baron. Tu n’es pas sûr qu’il est coupable, lui dit son père. Je ne suis pas sûr qu’il est innocent, répond le fils. Peu importe, au fond : le geste de vengeance du fils est dicté par la rage qui le possède et non par une question de justice. De même les sévices infligés à Sigi, le fils du Baron, et à Karli, l’enfant demeuré de la sage-femme, apparaissent comme punitions de péchés qui restent tus – ou du moins qui doivent l’être, à hauteur d’enfant – et dont on ne sait pas très bien qui au juste les a commis. L’épilogue du film semble reprendre ce thème d’une faute qui se dérobe et d’un châtiment magnifique : on ne saura jamais qui, au juste, s’en est pris au docteur, à Sigi et à Karli, mais la guerre arrive et offre au problème sa conclusion et à la faute sa rétribution.
Cette recherche d’une violence purificatrice est rendue intelligible par ce que le film montre de la vie du village. Les personnages sont généralement opaques : leur maintien ne trahit jamais rien – deux fois, dans le film, une femme pose la tête sur l’épaule ou le bras d’un homme: sa position est alors si contrainte, si bizarre et si dépourvue d’abandon, qu’elle ne la tient que quelques instants. Enfants et adultes sont emprisonnés dans un code qui ne permet pas l’expression de la tendresse, comme le montrent de façon pathétique les deux scènes où le fils cadet du pasteur lui demande l’autorisation de garder un oiseau blessé, puis le lui offre: l’homme et l’enfant sont émus, mais sont incapables de l’exprimer et de faire de cette émotion une étape de leur relation plutôt qu'un cul-de-sac. Les dialogues non plus ne révèlent rien: ils sont tronqués ou faussés, obéissant souvent au même schéma, celui de la recherche obstinée et frontale d’une réponse. A l’interrogatoire de Martin par son père répond celui d’Erna par les deux policiers, et ce sont deux moments d’une violence insupportable, surtout faite à des enfants ; mais les litanies du petit Rudi posant vingt fois la même question à sa sœur sans obtenir de réponse qui le satisfasse relèvent en fait de la même parodie de dialogue. A contrario, lorsque les personnages entreprennent de se dire réellement quelque chose, on le regrette assez vite : c’est le cas lorsque le médecin dit à la sage-femme ce qu’il pense d’elle, avec une remarquable cruauté. Pas de tendresse, pas de dialogue, et même la masturbation est impossible : que reste-t-il d’autre aux enfants que la violence et le châtiment sans cause, dont l’exemple est d’ailleurs donné par les adultes ?
Je pense qu’on peut discuter des parti-pris esthétiques et narratifs du Ruban Blanc – trouver, par exemple, le personnage du maître d’école insipide et peu crédible, ou regretter une absence générale de mouvement finalement assez peu cinématographique. Cependant, ce film m’a paru offrir une lecture très frappante tant sur le plan psychologique des rapports entre la contrainte sociale et la violence, que sur le plan philosophique des rapports entre l’innocence, la faute et le châtiment, et sur le plan historique des racines puritaines du bellicisme et de la violence sur lesquels les nazis ont prospéré.
Le Ruban Blanc, Michael Haneke, 2009
lundi 30 août 2010
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De Haneke j'ai vu 'La pianiste' et 'Funny Games US', ce qui ne m'a pas vraiment donné envie d'en voir plus. Le style malsain, glauque et intello ça doit pas être mon truc...
RépondreSupprimerah ça, pour ce qui est d'être glauque et malsain, je ne dirai pas le contraire!
RépondreSupprimerIntello, je ne sais pas - on ne nous fatigue pas les oreilles de controverses, dans ce film...