Je ne sais jamais très bien par quel bout prendre un recueil de nouvelles. En général cela se lit agréablement, avec quelquefois des histoires très réussies. Mais pourquoi un recueil ? et pourquoi dans cet ordre ? Bref. Histoires cruelles a en tous cas le mérite de présenter une certaine cohérence. La plupart des nouvelles de ce recueil racontent un moment où le monde sort de ses rails avant, le plus souvent, d’y rentrer – pesamment, à regret, et en laissant planer un doute qui ne s’effacera plus.
C’est le cas dans Passage rapide d’animaux, lorsque le futur couple partant en week-end se retrouve soudain, faute de préparation, dans une situation fort périlleuse, avant de bénéficier d’un salut inespéré ; mais aussi dans Toutes griffes dehors, qui décrit l’aventure d’un jeune homme qui se retrouve, à la suite d’un pari, propriétaire d’un serval qui démolit méthodiquement son appartement avant de disparaître ; ou encore dans Jubilation lorsqu’un alligator vient rappeler au narrateur, de la façon la plus brutale, que son lotissement idéal est bâti à la va-vite dans un environnement hostile ; et dans Chasse à l’éléphant, quand le héros, chasseur passionné armé d’une carabine légère, se retrouve nez à nez avec un éléphant furieux. Dans chacune de ces nouvelles, la morale de l’histoire, si j’ose dire, se résume à « comment peut-on être aussi con ? ». Par l’intervention d’un phénomène naturel (je pense qu’on peut qualifier les servals, les alligators et les éléphants de « phénomènes naturels ») les personnages sont brutalement mis en face de leur propre stupidité ; c’est en cela que les histoires sont cruelles – notons qu’Histoires Cruelles n’est d’ailleurs pas la traduction littérale du titre du recueil.
On retrouve le même schéma dans Cécité Solaire, où un prophète de malheur vient troubler les gros fermiers de la Terre de Feu au sujet de la couche d’ozone, avant que son départ ne les rende à leur bienheureuse inconscience. Chixculub est également bâti de cette façon : la catastrophe, ici la mort d’un enfant, semble brutalement toute proche et inévitable avant d’être détournée. Le parallèle explicite avec l’astéroïde frôlant la terre au lieu de la toucher et de déclencher un cataclysme réintroduit le phénomène naturel en même temps qu’il signale qu’ici, comme dans Cécité solaire, la stupidité n’est pas celle d’un individu, mais d’une espèce entière (la nôtre, pour mémoire).
Au demeurant les boulets dont le vent fait frissonner les personnages de ces nouvelles sont parfois moins des phénomènes moins naturels que sociaux ; le narrateur de Au pied du mur évite in extremis de s’engager sur une pente savonneuse avec des dealers ; celui de Le voici met un pied dans la clochardisation avant de rebrousser chemin en catastrophe après avoir été témoin d’un meurtre entre vagabonds.
Ce schéma répété donne de l’Amérique (ou du monde, en général ?) une vision perturbante : celle d’un univers où la maîtrise des hommes sur leur environnement social ou naturel est beaucoup plus limitée qu’ils ne le croient – ou, plus précisément, qu’ils n’acceptent de s’en souvenir ; car en fait, les personnages connaissent les risques, mais ne veulent pas y penser. Ce tableau est complété par une ou deux nouvelles bâties sur un schéma différent, la plus remarquable étant Cynologie : l’évolution troublante d’une éthologue qui se prend pour un chien illustre la fragilité du corset de mœurs et d’habitudes qui nous distingue des animaux.
Notre monde physique et social est précaire, fragile, fissuré par endroits ; il tient en place Dieu sait comment ; et par-dessus le marché, nous sommes trop crétins pour éviter de marcher dans les trous. Pour le coup, on comprend mieux le principe du recueil de nouvelles. C’est grosso modo celui des campagnes contre l’alcoolisme, où les méfaits de l’alcool sont illustrés de douze petits films différents ; la différence majeure étant, évidemment, qu’on ne s’en tirera pas juste en arrêtant de boire.
Histoires cruelles, TC Boyle, 2005
Traduction André Zavriew
vendredi 27 août 2010
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Tu nous en parles comme une succession de ces faits divers démontrant la justesse de la théorie darwinienne: la connerie saurait elle être un facteur de sélection létal dans l'espèce humaine?
RépondreSupprimerJe suis retombé sur un recueil de nouvelles d'Hemingway lu il y a longtemps. Relu les trois premières. Un médecin va aider une indienne dont l'accouchement se passe mal. Il est avec son fils: "Dis Papa, c'est dur de mourir? Is dying hard, Daddy?" Bouleversant, après avoir relu le résumé biographique d'EH. Je me souvenais évidemment qu'il s'était suicidé, mais non que son père également avait fait de même. Et il y a un suicide dans cette nouvelle. Une très belle sobriété dans le style. Pas un mot de trop ou à côté. Le recueil est "The Killers", la première nouvelle est "Indian Camp".
RépondreSupprimerDeuxième nouvelle: "Don't you love your mother, dear boy?" "No, Krebs said".
Troisième nouvelle: "We are going to kill a Swede. Do you know a big Swede named Ole Andreson?"
Histoires cruelles, en voilà.
Stanford (je vais essayer un autre profil que Google, on va voir).
Si on sélectionne Anonyme, c'est plus simple...
RépondreSupprimervous voyez, quand vous faites un effort...! (j'ai ouvert tous les verrous que j'ai pu trouver dans Blogger pour vous simplifier la vie...)
RépondreSupprimerje n'ai jamais lu de nouvelles d'Hemingway: ses romans me fatiguent un peu, avec leur côté vaguement caricatural, mais ça passe peut-être mieux dans une forme plus ramassée? je note le titre en tous cas...