Les déracinés, ce sont sept jeunes gens que l’on rencontre pour la première fois au lycée de Nancy alors qu’ils font la connaissance de leur nouveau professeur de philosophie, Paul Bouteiller. Celui-ci, qui a une haute idée de lui-même et du service de l’Etat, aura sur eux une influence durable ; ils le suivront dans sa destruction de toute certitude, mais buteront sur l’impératif moral kantien et resteront ainsi coincés au milieu d’un gué éthique en même temps que dépouillés de leurs racines lorraines et coupés de leur être profond par l’environnement du lycée. Sombre horizon ! on se doute bien que tout cela va mal tourner.
Les sept jeunes gens se retrouvent à Paris, pour y faire leur chemin avec des fortunes diverses. Le roman développe quelques temps forts : le dépucelage de François Sturel, le littéraire, par une Arménienne délurée ; la visite de Taine à Roemerspacher et leur conversation philosophique au pied d’un platane, « fédération bruissante » où chaque organe remplit son rôle pour réaliser pleinement la nature de l’arbre ; le pèlerinage au tombeau de Napoléon qui réunit les sept jeunes gens, décidés à forcer le destin et, d’abord, à créer un journal ; le meurtre crapuleux de l’Arménienne par Racadot et Mouchefrin, les deux anciens boursiers acculés par l’échec du journal ; l’enterrement de Victor Hugo.
Il est un peu difficile de rendre justice à un livre qui a fortement marqué son époque et qui, pour cette raison même, n’éveille plus aujourd’hui aucun écho. D’un point de vue littéraire en effet, Les Déracinés n’est pas un livre marquant : c’est, pour tout dire, du sous-Balzac. Maurice Barrès est un romantique, avec comme Balzac la curiosité des extrêmes et la manie de qualifier d’enfants des jeunes gens de vingt-trois ans, parce que cela évoque la fraîcheur et la violence des passions d’une âme encore entière. Le sujet même des Déracinés, ce bouquet de trajectoires sociales impulsées par des ambitions variées, est balzacien dans son essence.
Or on a déjà lu tout cela cinquante ans avant que Barrès ne prenne la plume ; ce qui a fait le succès et l’influence des Déracinés, c’est autre chose, et on a peine à croire aujourd’hui que cet « autre chose » qui a remué les foules soit vraiment ce fatras sentimental sur les « petites patries » des jeunes Lorrains qui viennent de Custines, de Varenne, de Neufchâteau ou de Commercy et qui, y seraient-ils restés, auraient connu une vie utile à leur communauté et adoucie par les certitudes. En réalité, cette faible réponse nous cache aujourd’hui la question que pose Barrès et que ressentaient une partie de ses contemporains : comment vivre dans un monde où tout, même le pouvoir, est relatif, où tous se valent, où l’égalité avilit, la liberté corrompt, la fraternité endort ? La question de Barrès est aussi celle de Drieu ; avec moins de réponses que jamais, elle perdure aujourd’hui, apparemment consubstantielle à la démocratie moderne.
Les Déracinés, Maurice Barrès, 1897
lundi 23 août 2010
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