A Alexandrie, autour de l’an 400, Hypatie enseigne la philosophie, les mathématiques et l’astronomie: c’est tout un, quand il s’agit de comprendre, avec la course des astres, la place des hommes dans l’univers. Mais les temps sont troublés; païens et juifs font face tour à tour à l’agressivité des chrétiens. Dans la première partie du film, l’empereur lui-même est certes déjà converti, mais il est bien loin: les chrétiens sont à Alexandrie une secte de pouilleux dont le nombre et la force, inopinément révélés, surprennent ceux qui se croyaient encore à l’abri. Dans la seconde partie, l’évêque Cyrille achève de soumettre les autorités civiles à l’emprise jalouse d’un christianisme implacable.
Agora croise avec intelligence les oppositions et présente son histoire, un peu arrangée au regard des faits, comme le croisement entre l’évolution du monde, à la veille de sombrer dans l’obscurantisme, et celle d’Hypatie qui a enfin, juste avant sa mort violente et après de longues années d’études, l’intuition de la trajectoire elliptique des planètes. Parmi les personnages masculins du film (c'est-à-dire tous, d’ailleurs, en dehors de l’héroïne), l’esclave Davus inscrit en filigrane une sorte de contre-morale à cette édifiante histoire: à travers sa condition, évoquée de façon assez adroite et pas trop lourde, apparaît la faiblesse et la faute de la société païenne éclairée que représente Hypatie, elle-même douce à ses esclaves, mais totalement aveugle au scandale de leur servitude. Le jeu d’oppositions ne tombera pas dans la caricature; Amenabar prend soin de représenter les adeptes de Sérapis, gardiens de la Grande Bibliothèque, comme des fanatiques agressifs qui, au même titre que les Juifs, déclencheront eux-mêmes l’incident qui amènera leur perte.
Sur le plan visuel en revanche, il prend plaisir à jouer du contraste entre le noir dont s’habillent les chrétiens et les pauvres, et le blanc dont resplendissent les notables éclairés ; ce contraste lui permet des plans assez réussis égayant une réalisation par ailleurs assez classique en donnant à voir les affrontements depuis la Lune, ou à peu près, faisant ainsi écho au leitmotiv astronomique du film (par ailleurs souligné de façon un peu pataude, pour le coup, par quelques séquences spatiales montrant la Terre entière).
Comme je me suis laissée prendre à l’intrigue scientifique, si j’ose dire, au point d’avoir des palpitations cardiaques à l’énoncé de la définition de l’ellipse, et que par ailleurs je n’ai aucune sympathie pour l’obscurantisme en général et sa variante catholique en particulier, j’aurais dû passer un excellent moment, mais mon plaisir a été un peu gâché par la platitude de la composante sentimentale du scénario. Tant qu’à prendre pour sujet une femme-étoile, voguant dans les hautes sphères de l’esprit sans aucun souci de la chair et du cœur, on aurait pu lui épargner ces soupirants de bas étage, certes tous très calés sur le système de Ptolémée, mais en dehors de cela tristement hollywoodiens.
Autre chose me navre dans Agora : quand une œuvre de fiction me donne à penser, j’aime avoir l’illusion que c’est moi qui pense, et que tout le travail n’est pas fait à ma place. Etait-il bien nécessaire, pour souligner le propos, de donner à l’évêque Cyrille les traits que l’on prêterait à un imam? Et pour tout dire était-il en fait indispensable, pour nous rendre l’Eglise suspecte et l’obscurantisme repoussant, de nous raconter cette histoire? J’en viens, c’est un comble, à me méfier de la manipulation par l’émotion, surtout quand elle sert ma propre vision du monde, car il n'y a que dans ce cas que je craindrais de m'y laisser prendre.
Agora, Alejandro Amenabar, 2010
lundi 14 février 2011
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