Depuis le 14 novembre 2010 est réapparue dans l’organigramme du gouvernement une configuration rare : l’existence d’un ministère des Sports. Chantal Jouanno doit sans doute à ses titres de championne de France de karaté l’honneur de succéder à plusieurs gloires internationales du sport français et notamment à Jean-François Lamour, le seul qui, comme elle, a été sous Raffarin Ministre des Sports, tout court.
Depuis 1958, les Sports, indissociables de la Jeunesse, ont fait partie successivement du portefeuille d’un Haut-Commissaire (Maurice Herzog, dont l’altitude était garantie par construction) puis, depuis 1963, de ceux d’une succession de Secrétaires d’État à la Jeunesse et aux Sports, placés auprès du Premier Ministre, du Ministre de l’Éducation ou de celui de la Qualité de la Vie. En 1978, dans le gouvernement Barre III, les Sports sont promus et Jean-Pierre Soisson devient le premier Ministre de la Jeunesse et des Sports. Cette dignité nouvelle restera néanmoins précaire jusqu’en 1991 ; après Edwige Antier, Ministre délégué à la Jeunesse et aux Sports auprès du délicieux Ministère du Temps Libre (ah, 1981 !), il y aura encore deux secrétariats d’État avant que les Sports, toujours mariés avec la Jeunesse et parfois (dans le grand ministère Bachelot) avec la Santé ne s’installent définitivement au rang des portefeuilles ministériels.
Nous voilà donc aujourd’hui comme en 2002 avec un Ministère des Sports glorieusement isolé. Et cet isolement interroge. Par quelle évolution mystérieuse les moyens ont-ils pu ainsi rejoindre les fins et les Sports figurer au gouvernement à côté de la Justice, de la Défense ou de la Santé ? C’est à croire qu’il y a dans les Sports (la majuscule semble de rigueur) une valeur intrinsèque, quelque chose comme un principe républicain.
Ne nous méprenons pas, je n’ai rien contre les sports, quand ils sont l’instrument de l’éducation de la jeunesse, de la santé des citoyens, ou de la qualité de vie « dans les quartiers ». Mais je ne vois dans la pétanque ou dans le rugby à 13 rien qui justifie qu’un ministère tout entier soit dédié à la quête de la performance sportive, au nom du rayonnement de la France. Savez-vous que le « rang sportif de la France » figure parmi les 96 indicateurs « de missions » qui mesurent la performance du gouvernement en 2011, au même titre que le taux d’insertion professionnelle des jeunes diplômés, le délai moyen de traitement d’une procédure judiciaire, ou l’évolution des crimes et délits ? N’y a-t-il pas là un curieux choix de priorités ?
Le discours prononcé par Chantal Jouanno à Saumur le 25 janvier dernier n’est pas pour me faire changer d’avis. S’adressant aux personnels de l’École nationale d’Équitation, la ministre parle élite, excellence, performance. Un bon tiers du discours est consacré à la stratégie de conquête des médailles (à laquelle, d’ailleurs, il ne semble pas que le Cadre Noir, corps professoral de l’École en question, ait directement contribué récemment). À peine Mme Jouanno semble-t-elle s’écarter de ce thème, pour parler du dynamisme de l’équitation de masse — 2 millions de pratiquants tout de même — qu’elle y revient aussitôt : en handisport, en dressage, on veut des médailles ! (D’ailleurs rassurons-nous, l’École nationale d’équitation, grâce à ses 160 emplois, va prochainement organiser un colloque dans ce but : on en attend monts et merveilles).
Il faudrait peut-être se poser un instant la question de ce que le « rayonnement de la France » en matière sportive apporte au citoyen. Des vertus économiques de ce rayonnement, on peut douter quand on sait le prix de projets pharaoniques comme les candidatures aux Jeux olympiques. De l’exemplarité de nos sportifs vedettes on n’est pas plus sûr tant le sport performance tourne au show-business et tant on les abrutit, les pauvres, à coup de longueurs de bassin enchaînées dès l’âge où d’autres essayent encore de se forger une capacité de raisonnement. Et sur la pérennité de cette religion mondiale qu’est l’olympisme, on peut aussi nourrir des doutes tant apparaît croissant le décalage entre une conscience émergente de la rareté des ressources terrestres et le spectacle du gaspillage puéril et gargantuesque offert par les circuits mondiaux de compétition.
J’attends le Président de la République qui remettra le sport, sans majuscule, à sa place, celle d’une pratique éducative et hygiénique à laquelle tous devraient avoir accès, loin d’une sacralisation de la performance que l’on pourrait qualifier de gratuite si elle n’était si chère : près de 150 millions d’euros, hors dépenses de personnel, pour l’action « développement du sport de haut niveau » en 2011, contre… 18 millions pour la « promotion du sport pour le plus grand nombre ».
jeudi 17 février 2011
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C'est vrai: on peut aimer le sport et aussi trouver qu'il prend une place démesurée. Faut-il s'en étonner sachant l'état actuel de la société?
RépondreSupprimerRappelons nous quand même Juvénal et son "panem et circenses"