Entre les murs met en scène une année scolaire de François Marin, professeur de français, et de sa classe de quatrième "multiculturelle" dans le XXème arrondissement de Paris. Il n’y a pas vraiment dans ce film de progression dramatique digne de ce nom, du fait, notamment, que le cours n’avance pas beaucoup entre le début et la fin de l’annéee. En cela, le film se rapproche un peu du documentaire que, par ailleurs, il ne prétend pas être. Le principal ressort du scénario est constitué par le cas de Souleymane, un élève perturbateur qui finira par être exclus du collège.
C’est un film qui ne laisse pas indifférent mais qui n’émeut pas. Pour être ému, il faudrait s’attacher : à qui ? Les personnages sont tous plus têtes à claques les uns que les autres. En revanche, on est forcément pris de malaise à regarder François Marin tourner en rond sans jamais avancer. Ce professeur encore jeune, à la dégaine étudiée (une sobre décontraction qui met en valeur son physique étriqué de post-adolescent), flotte sur ses propres contradictions : il est jeune, mais il est prof. Il tutoie ses élèves, mais ils doivent le vouvoyer. Il leur parle de discipline, mais il réinterprète les règles du collège comme ça l’arrange. Il exige le silence, mais n’insiste pas quand il ne l’obtient pas. Il refuse de désespérer de ses élèves, mais il se moque d’eux en permanence. Il finit, dans un moment d’égarement, par traiter de pétasses deux de ses élèves : pas de chance, mais il l’a bien cherché.
François Marin n’enseigne pas à proprement parler. Il refuse d’apporter à ses élèves un décalage vis-à-vis d’eux-mêmes, de leur parler de quelque chose qui leur serait étranger. Il ne leur laisse jamais aucune respiration, aucune chance de s’oublier un peu – ce qui pourtant semblerait bien nécessaire à ces gamins accrochés à des racines « diverses » et plus ou moins fantasmées et à une vie de famille que, sans rien en voir, on n’imagine pas toujours facile. Même lorsqu’il leur propose d’étudier le Journal d’Anne Frank, c’est pour retomber assez pesamment sur un exercice d’autoportrait qui est pénible à ces enfants incapables de s’exprimer finement, réduits à se décrire de la façon la plus fruste par une litanie de « j’aime, j’aime pas » (encore que certains d’entre eux parviennent à produire une sorte de poésie de l’inattendu par des juxtapositions de goûts et de dégoûts sans aucun rapport les uns avec les autres).
Car tout le nœud du film est là : de nombreux commentateurs ont salué cette « plongée dans le langage » à travers les « joutes verbales » opposant le professeur et les élèves. Joutes verbales ? Quelles joutes verbales ? Les malheureux élèves sont privés de toute expression nuancée et se rabattent en désespoir de cause sur le mutisme, les cris ou les coups. Les quelques scènes de confrontation qui se déroulent en dehors de l’arène que constitue la classe pleine (entre Khoumba et Marin, entre Marin et les parents de Souleymane, entre Souleymane et le conseil de discipline) sont des scènes de monologue où l’institution (le professeur, le principal) tente en vain d’arracher au mis en cause une réponse, une forme d’explication ou de défense. Souleymane qui joue l’interprète lors de sa propre comparution en conseil de discipline et traduit en trois syllabes les tirades de sa mère ou du proviseur est l’incarnation de cet enfermement entre deux registres inefficaces : le mutisme et la provocation. On voudrait l’entendre s’expliquer : on soupçonne qu’il ne peut pas.
Ils peuvent d’autant moins s’exprimer, ces jeunes gens, qu’ils n’en ont en fait pas l’occasion. Le temps du collège, succession de plages horaires bornées, ne le permet pas ; impossible pour François Marin de prendre avec l’un ou l’autre de ses élèves en difficulté le temps de la discussion. Tout se fait en public, ou ne se fait pas ; sur les rares tête-à-tête pèse une hâte et un malaise palpables.
Entre les murs agace à cause de la suffisance que l’on soupçonne chez François Bégaudeau, l’ex professeur inspirateur et acteur du film ; à cause de la niaiserie boboïsante des quelques allusions aux problèmes d’immigration (le retour de Souleymane au Mali, l’arrestation de la mère sans-papiers de Wei) ; à cause de la laideur des images, qui relève cependant d’un parti-pris bien compréhensible – après tout, il s’agit d’un film quasi-carcéral. Cette exaspération fait obstacle à toute émotion, mais non à toute réflexion. Le spectateur est appelé à s’interroger sur la relation entre professeurs et élèves (Marin est l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire, mais que faut-il faire ?) et sur la nature même de l’enseignement à des adolescents : une nécessaire extraction, hors de mondes personnels forcément conflictuels ?
Entre les murs, Laurent Cantet, 2008
jeudi 9 septembre 2010
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