Asher Lev est un juif new-yorkais, Hassid ladovérien ; quoi que cela puisse vouloir dire, on sent bien à lire le livre que les Ladovériens ne sont pas précisément des tièdes en matière religieuse. Affligé d’un don exceptionnel pour la peinture en lui-même suspect, car la tolérance divine pour la fabrication d’images fait débat, il a été chassé de sa communauté après avoir exposé des tableaux représentant sa mère en croix. Resté fidèle aux commandements et profondément religieux, il vit en France avec sa femme Devorah et ses deux enfants quand la mort de son oncle Yitzhok le ramène à Brooklyn. Là, ses parents et le Rèbbe, chef spirituel des juifs ladovériens, exercent sur lui une douce pression pour le convaincre de leur confier son jeune fils, Avrumel, afin d’en faire le successeur du Rèbbe et le garant de l’avenir de la communauté dont Asher Lev lui-même restera une brebis galeuse.
Le don d’Asher Lev, ce n’est pas son talent, c’est le sacrifice de cet enfant. Si Asher Lev n’a pas trouvé dans la tradition juive d’image de la douleur et a dû recourir à la crucifixion pour représenter les angoisses de sa mère, il a d’ailleurs à portée de main l’image juive du sacrifice : celui d’Isaac par Abraham. Et comme l’immolation (interrompue) d’Isaac a prouvé la confiance d’Abraham et a raffermi l’alliance entre lui et son dieu, le don d’Asher Lev garantit l'avenir de la communauté, offre à Avrumel un destin vaste et exigeant, et rend au peintre la puissance créatrice qui s’enracine dans la solitude.
Tout le livre se déroule sur la période de quelques mois qui suit la mort de l’oncle Yitzhok et se clôt avec la décision d'Asher Lev. La chronologie est enrichie de nombreux retours en arrière et de méditations d’Asher Lev sur l’art et la création. Asher Lev étant, durant toute cette période, perpétuellement dans le cirage, ces méditations prennent la forme de dessins quasi automatiques ou de rêves dans lesquels Picasso apparaît régulièrement, indépassable et méphistophélique, sorte de chef spirituel artistique qui fait pendant au Rèbbe. Ces interludes donnent une remarquable épaisseur psychologique à Asher Lev dont le paysage intérieur est, au travers de ces visions, décrit par lui-même sans pour autant que le personnage ne s'analyse.
Il est étonnant, incidemment, de constater à quel point on s’adapte rapidement à cette secte ladovérienne où même les chants de colonie de vacances parlent de la Torah. La communauté absorbe en quelques jours une Devorah certes désespérément avide de sécurité, mais accueille aussi, d’une certaine façon, le lecteur bercé par les services religieux successifs et anxieux, comme les fidèles, de la santé du Rèbbe et de ses moindres gestes. La sévérité du père d’Asher Lev, l’intolérance de la communauté ne choquent qu’à peine tant elles apparaissent indispensables à la survie de cette société stable et unie. Et même pour un incroyant, Chaïm Potok rend sensible le bien-être moral qui vient de la prière (cette certitude quotidienne de faire quelque chose de bon, d’honorable et d’immuable) et le confort social issu d’une tradition partagée. Le lecteur perçoit aussi l’effet de l’attente et de l’approbation de la communauté sur ses membres ; le père d’Asher Lev, le Rèbbe lui-même tirent leur sainteté de leur position éminente, autant, voire plus, que l’inverse. Evidemment, quand Dieu est là, tout va mieux. Dommage que… bref.
Les thèmes du Don d’Asher Lev sont aussi ceux de l’Elu : la paternité et la modernité. Etre fils ou être père, dans une communauté entièrement fondée sur un héritage, on se représente le poids que cela peut exercer. Se lancer dans l’exploration moderne de l’humanité, à travers l’art ou la science, et se détourner en conséquence du commentaire de la Torah, on mesure la trahison que cela constitue pour des esprits qui doivent tout à cette étude. Ces conflits dramatiques, racontés dans un style très dépouillé, font la puissance et sans doute la nécessité de ces romans remarquables.
Le don d’Asher Lev, Chaïm Potok, 1990
Traduction Jacques Barret
mardi 7 septembre 2010
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