Être et avoir est un film sans acteurs qui suit l'instituteur Georges Lopez et ses treize élèves pendant toute une année scolaire, dans une école à classe unique, au fin fond rural d’un Puy de Dôme rugueux. Hiver glacial, petites silhouettes laineuses et morveuses ; printemps humide, soirées sombres dans les exploitations isolées où les enfants conduisent le tracteur et font le dîner ; lumière de mai, la classe dans le jardin ; et enfin juin, l’impatience et l’angoisse des départs, les enfants de CM2 propulsés hors de cette matrice.
Avec son rythme posé et ses plans-séquences prolongés, Être et avoir emprunte au documentaire un découpage en saynètes indépendantes – Jojo finit son coloriage, Julien fait une multiplication, Alizé joue avec des gommes – dont chacune est prolongée jusqu’à sa conclusion par l’instituteur tenace et la caméra patiente. Mais l’absence de commentaire et la dramatisation induite tout naturellement par le temps de l’année scolaire, avec son inéluctable épilogue, font d’Être et avoir un film, c’est-à-dire réellement une histoire. Ou des histoires, celles des plus grands élèves dont se dévoilent peu à peu les difficultés.
Que vont-ils devenir, ce Julien, petit agriculteur déjà, aux responsabilités d’adulte, incapable de se fourrer dans le crâne la table de 5 malgré la participation de la famille entière ; cette Nathalie au physique ingrat, murée dans un silence que reproduit déjà sa petite sœur ; cet Olivier, avec son père mourant, ses pulls mités et ses difficultés d’élocution ? C’est leur sensibilité et leur impuissance qui apparaissent tout au long du film, tout comme la sensibilité et l’impuissance de l’instituteur qui, de tout son métier, s’efforce de les armer comme si, pour un enfant qui ne sait pas multiplier à dix ans, la patience pouvait encore faire une différence. Et peut-être le peut-elle, d’ailleurs ?
S’ils quittent leur maître bien fragiles, ils garderont sans doute au moins de leurs années d’école quelques souvenirs lumineux, comme ce pique-nique dans les champs filmé de loin par une caméra placide. Ils auront trouvé à l’école un refuge, un lieu ordonné et juste, un temps où personne n’avait encore renoncé pour eux. En les regardant partir on a, comme leur maître, la gorge serrée, et l'on ne peut s’empêcher d’espérer que ce soit cela, finalement, le plus important pour leur avenir.
Être et avoir, Nicolas Philibert, 2002
mardi 7 septembre 2010
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