Mija est une femme âgée, affligée d’un petit-fils néandertalien qui, avec cinq camarades de classe, a poussé une collégienne au suicide en la violant régulièrement. Les pères de ces jeunes gens tentent de transiger avec la mère de la victime ; Mija, qui élève seule l’affreux Wook, se trouve ainsi associée par la force des choses à ces quadragénaires goguenards qui se servent d’elle sans délicatesse excessive. Chez cette femme sensible et vulnérable, la volonté de protéger son petit-fils se mêle à la honte et au dégoût, et à une déchirante compassion pour la jeune victime et pour sa mère.
A cette intrigue vaguement policière se superpose une histoire intérieure : celle de la tentative désespérée de cette femme assoiffée de beauté pour écrire un poème, alors qu’elle est confrontée aux premiers signes d’effacement de sa mémoire. Elle croit à la poésie malgré les ridicules et les déceptions ; elle croit que deux cours par semaine à la maison de la culture pendant un mois lui révèleront comment extraire d’elle-même la poésie qui va mourir avec elle. Avec obstination ou sans le vouloir, en tombant dans ses trous de mémoire, elle abandonne sans cesse la sordide réalité pour interroger une pomme ou un abricot. La peinture sans concession de cette foi absurde dans la beauté, de la part de cette vieille dame écrasée par le chagrin et la honte, impuissante devant la brutalité des hommes, est extrêmement émouvante.
Pourquoi d'ailleurs est-elle touchante plutôt qu’agaçante, cette Mija remarquablement interprétée par Yoon Jung-hee? avec ses efforts d’élégance, son obstination à traquer l’inspiration carnet en main, ses discours sur la beauté des fleurs, elle pourrait exaspérer. Mais elle est embellie de sa fragilité apparente et de l’effritement irréversible qui la menace. Elle émeut par son humilité et par la générosité qui la pousse à se faire belle et la rend tendre au vieillard hémiplégique dont elle s’occupe. Et on ne peut rester insensible, tant ils sont magnifiquement humains, à sa foi désintéressée, sans prosélytisme ni espoir de rédemption, et à cet effort ultime et dérisoire pour faire éclore in extremis la très ancienne promesse que Mija sent encore vivre en elle.
Poetry, Lee Chang-dong, 2010
dimanche 5 septembre 2010
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J'ai surtout apprécié l'expression du désarroi féminin par cette actrice magnifique. Désarroi que l'on ressent au plus profond de sa chair de mère et de femme, face à la violence des comportements des hommes. Ce ne fut pas sans me remémorer les errances un peu hagardes - certes sous un autre angle - de Delphine Seyrig, dans Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles (1975)de Chantal Ackerman. Un film qui fait référence à mon avis.
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