La Puissance et la Gloire est l’histoire de l’un de ces personnages contradictoires comme semblent les adorer les écrivains catholiques, de Mauriac à Bernanos. C’est un prêtre indigne, alcoolique et père d’une fillette bâtarde, que l’on suit à travers une errance misérablement héroïque dans le Mexique de années 1930, gangrené par la misère et où l’Eglise est devenue hors-la-loi. Déclaré traître et menacé de mort, le prêtre manque par deux fois trouver la sécurité en quittant le pays : à chaque fois, appelé (d’ailleurs inutilement) au chevet d’un mourant, il renonce à cette chance de salut.
Le récit n’avance en fait que par ces deux épisodes qui font la première et la troisième partie du livre : toute la deuxième partie montre le prêtre tournant en rond sans espoir et apparemment sans but, pratiquement sous le nez du lieutenant qui le cherche dans tout le pays. On le voit disputant un os à un chien, échouant à se procurer du vin pour la messe, passant une nuit en prison ; tout ceci ne fait guère progresser l’histoire, mais impose peu à peu au lecteur ce personnage dérisoire et tenace, sa foi inconditionnelle en la grandeur de son ministère et la conscience de son indignité.
Le prêtre mourra, bien sûr, en victime de sa foi ; cependant le roman ne se lit pas comme la défense d’une Eglise de chats-fourrés qui, après avoir exploité ces Mexicains pouilleux et les avoir entretenus dans l’idée que leur condition était dans l’ordre voulu par Dieu, les ont abandonnés devant les persécutions d’un gouvernement athée. On adhèrerait bien plus facilement au point de vue du lieutenant qui poursuit le prêtre : homme sincère, désintéressé et énergique, et non dépourvu de bonté, il hait cette Eglise qui a contribué à la misère de son peuple. Son erreur est sans doute de la poursuivre dans un homme. Mais enfin tout ceci est terriblement catholique ; que de questions inutiles, finalement ! ce pauvre homme de prêtre est torturé par son indignité ; après tout elle ne fait de mal à personne. Ce n’est évidemment pas le message de Graham Greene qui fait ici de la conscience de l’indignité la condition de la sainteté, mais au total, on se fatigue de ces tourments sans objet.
Il n’en reste pas moins que la Puissance et la Gloire est remarquablement écrit, avec une grande force d’évocation. Ces mouches partout, cette chaleur, cet abrutissement général, la laideur et la mesquinerie des gens, l’absurdité de tout effort sont restitués de façon obsédante, notamment par l’intervention dans le récit de personnages secondaires européens (le dentiste Tench et le capitaine Fellows) au cerveau cotonneux, incapables de suivre le fil de leurs idées. Les personnages mexicains, eux, sont opaques : le récit ne traduit jamais leur pensée, à l’exception de celle du prêtre qui, d’ailleurs, parle anglais et a fait ses études aux Etats-Unis. Le lecteur se sent ainsi, à la remorque de ces Européens écrasés par la crasse et la chaleur, à la fois étranger et enfermé dans ce monde hostile et indéchiffrable ; au-delà de la réflexion sur le salut et le péché, dont on peut se sentir, à force, un peu fatigué, la Puissance et la Gloire est une plongée fiévreuse dans l’autre et l’ailleurs, ce qui suffit à en faire un excellent roman.
La Puissance et la gloire, Graham Greene, 1940
Trad. Marcelle Sibon
samedi 27 novembre 2010
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